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Lorsque Christophe Colomb débarqua à San-Salvador, dans les Lucayes, la race qu’il eut d’abord sous les yeux n’avait rien de bien remarquable pour lui. Il la compare aux Espagnols brunis par le soleil et aux habitans des Canaries, de ces îles qu’il avait perdues de vue depuis si peu de temps. Une population également semblable aux Canariens, les Charazanis, vit encore aujourd’hui dans le Pérou. Elle se distingue de toutes les autres tribus et races voisines, avec lesquelles elle évite de s’allier. Elle s’est aussi garantie du mélange de sang blanc[1]. Tout porte donc à penser que la race blanche africaine a été amenée en Amérique à la suite de quelque accident de mer. Quant à la race noire, nous avons les témoignages de Pierre Martyr[2] et de Gomara, qui tous deux attestent que Vasco Nunès de Balboa, en traversant l’isthme de Darien pour gagner les montagnes d’où il devait apercevoir le premier l’Océan-Pacifique, trouva sur son chemin de véritables nègres[3]. Ainsi s’explique la présence dans l’île Saint-Vincent de ces Caraïbes noirs qu’on a voulu faire descendre de nègres émancipés par le naufrage du vaisseau qui les portait, mais que les premiers colons avaient déjà trouvés dans cette île aux prises avec les Caraïbes rouges, ainsi s’expliquent encore le teint presque noir de ces Yamassees de la Floride qui aimèrent mieux périr les armes à la main que se soumettre aux lois des Creeks, et le teint non moins foncé des Charruas, à peu près entièrement exterminés aujourd’hui.

La géographie, la physique générale du globe, démontrent donc la possibilité des immigrations en Amérique ; l’histoire constate la réalité d’un certain nombre de faits de ce genre, d’autres sont attestés par les caractères physiques de populations exceptionnelles. Il y a là de quoi répondre surabondamment aux assertions des polygénistes relativement à l’impossibilité du peuplement par le dehors. L’Amérique ne fournit aucun argument à l’appui des théories que nous combattons. En outre celles-ci ne sauraient rendre compte des singuliers phénomènes sociaux que présenta ce continent lorsqu’il s’ouvrit définitivement aux regards de l’Europe. Au contraire, la doctrine monogéniste et le peuplement par migrations expliquent, de la manière la plus simple la rareté des populations, leur état social généralement si peu avancé, et l’existence par place de civilisations à peu près étrangères les unes aux autres, ayant chacune son

  1. Je tiens ces détails de M. Angrand, ancien consul-général de France au Pérou.
  2. Cité par Hamilton Smith.
  3. Le langage de Gomara est des plus précis. Il fait remarquer que ce furent les premiers nègres vus aux Indes occidentales, et qu’il ne croit pas qu’on en ait vu d’autres. Comme les Espagnols connaissaient fort bien les nègres, qu’ils devaient introduire quelques années plus tard dans leurs colonies, ce témoignage est aussi décisif que possible.