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soulevées au nom des Gallois et des Basques, les titres des Scandinaves à la découverte de l’Amérique sont aujourd’hui reconnus comme pleinement authentiques. Les savantes et curieuses recherches de Rafn ont appris que dès avant l’an 1000 de notre ère le Groenland avait été colonisé par les descendans des chefs Scandinaves qui avaient fui en Islande la tyrannie d’Harald aux Cheveux-d’Or[1]. Les frères de ces Normands qu’attirait si impérieusement le midi de l’Europe ne pouvaient rester confinés dans cette contrée qui, pour avoir mérité à cette époque le nom de terre verte, n’en devait pas moins subir des hivers à peu près aussi rigoureux qu’aujourd’hui. Ils descendirent donc au midi, et jusque vers le XIVe siècle il y eut des communications fréquentes entre le Bas-Canada et les premières colonies ; mais en 1408 les glaces interceptèrent toute communication entre l’Islande et le Groenland. Qu’est devenue la population de ce dernier pays, population qu’on sait avoir été fort nombreuse[2] ? Peut-on supposer qu’elle ait en entier péri sous les coups des Esquimaux, de ces Skrellingers qui à diverses reprises ravagèrent les colonies islandaises ? N’est-il pas évident que le plus grand nombre de ces hardis marins, se voyant abandonnés par la mère-patrie, a dû remonter sur ses barques, suivre les frères qui les avaient précédés vers le sud, et les dépasser sans doute ? Ainsi s’explique la présence de ces hommes aussi blancs, plus blancs même que les Espagnols, que rencontrèrent ça et là sur leur route les premiers conquistadores environ deux siècles plus tard ; mais une partie aussi ne voulut pas quitter la terre verte, et leurs petits-fils y vivent encore. Bien qu’ils aient oublié la langue et la religion de leurs ancêtres, ce sont eux certainement que le capitaine Graah a retrouvés en 1829, près des ruines de l’Osterbygd, dans ces hommes à la taille élevée et svelte, au teint blanc, aux cheveux blonds, dont la présence au Groenland est le démenti le plus formel à toutes les théories de l’école américaine[3].

La présence d’élémens africains en Amérique n’est guère plus difficile à reconnaître que lorsqu’il s’agit des élémens asiatiques ou européens. Les caractères physiques constatés par les premiers découvreurs suppléent, ce semble, suffisamment au silence de l’histoire.

  1. Dans son Histoire des Régions circumpolaires, M. Frédéric Lacroix cite une bulle du pape Grégoire IV adressée à Ansgarius, datée de 835, et où il est fait mention des missions d’Islande et du Groenland. Le même auteur rappelle que La Peyrère a signalé une autre bulle antérieure à l’an 900, où l’Islande et le Groenland sont également nommés.
  2. Le Groenland formait deux districts séparés par une étendue considérable de terres inhabitables. Celui de l’est Osterbygd comptait dans son territoire deux villes, Garda et Alba, une cathédrale, onze églises, trois ou quatre monastères, trois maisons royales, etc. Ces colonies, on le sait, étaient devenues très florissantes.
  3. Nous adoptons ici complètement l’opinion émise par M. Lacroix.