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chester, appelé pour présider un grand meeting que les sociétés populaires ont résolu de tenir, bien que les autorisations d’usage leur aient été refusées par les magistrats. À l’attitude des masses, on voit qu’elles ont déjà une discipline et leurs mots d’ordre ; on lit sur les drapeaux : « Droits de l’homme, — suffrage universel, — parlement annuel, — égalité ou la mort ! (equal représentation or death), — À bas la loi sur les blés (no corn-law) ! » Parfois ces devises ont pour accompagnement un bonnet phrygien ou un poignard sanglant. Dans son discours, que quarante mille personnes écoutent en frémissant, Hunt déclare que la classe ouvrière est à bout de souffrances, qu’il ne s’agit plus de s’adresser à un parlement qui a jusqu’ici repoussé du pied (kicked) les pétitions du pauvre, mais que « le jour est venu pour le peuple de pousser en avant, comme il convient à des hommes et à des Anglais, et de faire valoir ses droits. »

La foule sur qui tombaient ces paroles enflammées se sépara pourtant sans tumulte, après avoir voté l’envoi d’une espèce d’ultimatum, sous forme de supplique au régent ; mais par les causes qui ont été signalées plus haut, l’insuffisance du travail et l’avilissement des salaires allaient toujours en augmentant. La détresse des ouvriers semblait un mal sans espoir, et l’esprit de révolte se répandait comme une contagion dans les centres industriels. On signalait de tous côtés des meetings de désœuvrés et d’affamés aussi nombreux, aussi menaçans que celui de Manchester. Toujours des anathèmes contre les vieilles institutions, contre les classes à l’abri de la misère commune, et tout cela entremêlé de systèmes et de projets en faveur du travail. Un des plus tristes symptômes fut la formation dans plusieurs villes des clubs de femmes à l’exemple d’une société mère (femal Reform Society) instituée à Blackburn, près de Manchester. Dans les circulaires envoyées aux femmes et aux filles d’ouvriers pour les inviter à multiplier les sociétés sœurs, il était dit que l’affiliation de femmes, mères de famille ou destinées à le devenir, tendait à enraciner profondément dans la tête et dans le cœur des enfans la haine des pouvoirs établis (a deep-rooted hatred of our tyrannical rulers). Dans un meeting tenu à Blackburn, une députation du club des femmes parut sur la plate-forme et présenta au président une adresse révolutionnaire avec un bonnet de liberté[1]. Cette scène fut reproduite dans d’autres assemblées populaires.

La ville de Birmingham, malgré son importance toujours croissante, n’était pas encore représentée au parlement. Ce déni de justice ayant été signalé dans un meeting tenu le 12 juillet 1819, l’idée vint au peuple assemblé de nommer immédiatement un député et de

  1. Ces détails sont extraits en grande partie de l’Annual Register.