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yeomen s’élancèrent au galop, sabre au poing : leur fougue entraîna un régiment de hussards. La foule épouvantée se dispersa à travers champs ; mais dans le premier feu de la colère les cavaliers donnèrent la chasse aux fuyards, et peu d’instans suffirent pour que trois ou quatre cents personnes fussent foulées aux pieds des chevaux, contusionnées, sabrées ou même frappées à mort.

Il ne faut pas croire que cette rude leçon ait coupé court aux agitations démagogiques. Les hommes sensés du parti conservateur ne furent que plus inquiets : les radicaux allaient inspirer cette sorte d’intérêt qui s’attache aux victimes. En effet, Londres, Liverpool, Nottingham, York, Norwich, Paisley, Bristol, Glasgow et d’autres villes sans doute virent aussitôt des meetings où l’on protestait avec colère contre la sanglante exécution de Manchester. L’orateur allait se placer au-dessous du drapeau vert des radicaux voilé d’un crêpe ; au meeting de Leeds, on voyait, peinte sur une espèce d’enseigne, une femme coupée en deux d’un coup de sabre par un yeoman, avec ce seul mot pour devise : « Vengeance ! » On ne tarda pas à constater que les ouvriers de tous les grands centres industriels ourdissaient une vaste affiliation, et qu’ils se préparaient à frapper un coup décisif. Toutefois le radicalisme fut mis en échec devant l’opinion par la folle et odieuse conspiration d’Arthur Thistlewood, découverte par la police de Londres en février 1820. On a affecté de présenter cet homme comme un Catilina de bas étage, qui devait, avec une cinquantaine de vauriens, assassiner en une nuit tous les ministres, incendier les quartiers riches, piller la banque, vider les arsenaux pour armer la populace et régner enfin sur la ruine des institutions. Thistlewood a dit devant ses juges qu’il voulait seulement venger les victimes de Manchester, et il est probable en effet que son complot n’a pas été autre chose qu’une éruption hâtive et partielle de la fièvre qui agitait les classes ouvrières.

Il y eut encore par la suite des conjurations et des émeutes ; mais elles perdirent peu à peu ces caractères d’animosité et d’audace qui faisaient craindre la guerre civile. Quelle est la cause de cet apaisement ? Faut-il croire qu’une attitude plus énergique prise par l’autorité a terrifié les factieux, ou bien qu’une série de récoltes abondantes, à partir de 1820, a ramené l’activité dans les ateliers, tout en facilitant l’acquisition des denrées ? Il se peut que ces circonstances aient atténué la aise, mais elles n’ont pas attaqué le mal dans son germe. Rappelons-nous que jusqu’en ces dernières années la détresse des basses classes en Angleterre, le danger d’une révolution sociale en ce pays ont été des lieux-communs exploités dans les publications du continent : on trouve même encore bien des gens qui, sous l’impression de leurs anciennes lectures, sont per-