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suadés que les ouvriers anglais sont beaucoup plus à plaindre que ceux des autres pays. On ne remarque pas que la société anglaise, si malade il y a quarante ans, est depuis cette époque sous l’influence d’un traitement qu’elle a suivi avec une merveilleuse persévérance parce qu’elle s’en est bien trouvée, et qu’elle s’est fait pour ainsi dire un tempérament nouveau.

II. — huskisson.

Que la constitution économique de l’Angleterre fût mauvaise, intolérable, qu’il y eût urgence de la changer, cela devenait évident pour tous les yeux. Ce fut sous le poids de cette impérieuse nécessité que surgirent dans certains esprits les idées de réforme. Rien au début ne ressemble à cette prétendue machination des industriels anglais pour propager à l’extérieur un système de liberté favorable au placement de leurs marchandises. À l’époque où partit le souffle qui communiqua la première impulsion, c’était au commencement de 1820, les négocians anglais, comme ceux du reste de l’Europe, honoraient les traditions mercantiles remontant à Colbert. Ils conservaient une foi naïve dans les vertus du régime protecteur : ils étaient d’ailleurs tellement subjugués par l’ascendant du torysme, qu’ils se seraient fait scrupule de solliciter un amendement aux combinaisons émanées du génie de Pitt. Il se trouvait alors par exception à Londres un négociant familiarisé avec les doctrines de l’école économique, Thomas Tooke, homme de mérite à tous égards, et d’autant plus considéré parmi ses confrères que ses habitudes studieuses n’avaient pas été nuisibles à sa fortune[1]. Il avait pour spécialité le commercé d’échange avec la Russie, et pratiquait sur une large échelle l’importation des bois. Subissant comme tout le monde la gêne des lois restrictives et d’une fiscalité écrasante, persuadé comme citoyen qu’un pareil régime amènerait une crise dan-

  1. Thomas Tooke, mort en 1858 à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, a fourni une série de publications sur les matières commerciales réunies en six volumes sous ce titre : History of Prices, 1792-1856. C’est une espèce d’encyclopédie commerciale expliquant les variations survenues dans les prix des marchandises depuis les dernières années du XVIIIe siècle. Ce livre fait autorité en Angleterre, et c’est assurément celui que j’ai consulté avec le plus de fruit pour le présent travail. La dernière série, entreprise par l’auteur dans son extrême vieillesse, n’a pu être achevée qu’avec la dévouée et judicieuse collaboration de M. William Newmarch. — Thomas Tooke, devenu l’un des négocians considérables de la Cité, et longtemps député-gouverneur de la banque d’Angleterre, a coopéré avec le même zèle à la création des docks et des chemins de fer et à la fondation des établissemens scientifiques consacrés principalement aux études qui intéressent le gouvernement des sociétés. Pour célébrer sa mémoire d’une manière digne de ses services, on a fondé par souscription au King’s College une chaire d’économie politique àlaquelle son nom restera attaché.