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du public n’hésita pas, et ce fut encore le leader des classes riches, Robert Peel, qui, vaincu par la nécessité, inscrivit à l’actif du budget l’impôt sur la richesse.

En 1851, les prohibitionistes français ont osé dire à la tribune, par l’organe de leur plus habile avocat, que l’introduction de l’income-tax en Angleterre n’avait pas été autre chose qu’un hommage rendu à l’excellence de notre système financier, que nos voisins, sans se préoccuper de liberté commerciale, avaient voulu tout simplement naturaliser chez eux un impôt direct analogue au nôtre. Il a fallu beaucoup de légèreté ou une confiance bien grande dans la crédulité des adversaires pour soutenu, une pareille affirmation. Comme conception fiscale et comme portée politique, rien n’est plus dissemblable que les deux systèmes dont il s’agit. L’income-tax anglais est un impôt frappé exclusivement sur les gros revenus, quelles qu’en soient l’origine et la nature. Qu’il soit propriétaire du sol ou fermier exploitant, spéculateur ou industriel, rentier ou fonctionnaire, savant ou artiste, le citoyen anglais doit à l’état une partie de la rente, du traitement ou du bénéfice qu’il encaisse, pourvu que son contingent dépasse en valeur effective 2,500 francs par année[1]. Le caractère, de l’income-tax et sa raison d’être ont été de soulager la multitude nécessiteuse au moyen d’une cotisation infligée à ceux qu’on suppose au-dessus du besoin. Oserait-on soutenir que tels sont les caractères de nos quatre contributions directes ? Chez nous, l’état s’adjuge une portion de la valeur existante, si mince qu’elle soit, sans s’inquiéter de la situation réelle du détenteur. Il n’y a pas d’exonération stipulée au profit du contribuable obéré, et la moitié de la taxe foncière est fournie par des propriétaires qui ne réalisent certainement pas un revenu net de 2,500 fr. Chacun paie non en raison du produit effectif qu’il réalise, mais suivant un tarif cadastral égal pour le propriétaire opulent qui a pu améliorer son fonds au point d’en décupler la rente et pour le cultivateur ruiné qui ne travaille plus que pour solder ses créanciers hypothécaires. Dans l’ordre industriel, on devient contribuable chez nous par le seul fait qu’on occupe une usine, un atelier, une boutique, et la patente qu’il faut payer n’est pas proportionnelle, comme en Angleterre, à un bénéfice net et effectif au-delà d’une certaine somme ; notre patente ressemble encore beaucoup à cet ancien droit de travailler que vendaient autrefois les rois de France : qu’on gagne peu ou beaucoup, il faut la payer suivant un tarif convenu. Nombre de professions lucratives dans les sciences, les arts, les fonctions

  1. Le chiffre de 100 livres ou 2,500 francs a été introduit en 1852. À l’origine du renouvellement de l’income-tax par Robert Peel, le minimum imposable était 150 livres ou 3,750 francs.