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alie. Elle est faite pour surprendre en France toute cette école de légistes qui ont hérité des traditions et des défiances de l’ancien régime, qui sont disposés à donner à l’église de grands avantages temporels, mais qui lui cherchent éternellement chicane sur son domaine, interviennent le plus qu’ils peuvent dans son organisation et sa discipline, et en lui faisant une part énorme dans l’état lui contestent ses prérogatives légitimes dans la sphère de la morale et de la foi. Ces légistes tomberont partout à la renverse, eux qui croient l’état toujours menacé par les empiétemens de Rome malgré les droits dont le pouvoir laïque est armé, droit d’exequatur, de présentation et de nomination des évêques, d’appel comme d’abus, et ils accuseront M. de Cavour, ou de manquer de sincérité, ou de trahir par une extravagance les intérêts de la puissance laïque. Cette concession est pourtant comprise en Italie ; elle y est d’une plus facile application que dans tout autre pays. Elle éveillera de sérieux scrupules dans l’âme d’un pape. Pour peu que l’on connaisse l’histoire de l’église, on n’ignore point les tortures qu’ont causées aux papes pieux les concessions qu’ils ont dû faire dans les concordats sur des matières qu’ils considéraient comme appartenant au domaine spirituel. En proposant au pape la liberté de l’église, M. de Cavour fait une attaque violente et respectueuse à la conscience de Pie IX. Une partie de la cour de Rome verra sans doute un piège dans cette offre ; mais il y a aussi en Italie et à Rome de nombreux membres du clergé attachés à la cause nationale, et qui n’ont pas peur de la liberté : il y en a même chez les jésuites. Le père Passaglia est un représentant distingué de ces jésuites libéraux. Ceux-ci ne cachent point leur sympathie pour cette solution de la question romaine. Il leur semble que le pape, mis en demeure de choisir entre le bien spirituel de l’église et ses propriétés territoriales ne saurait hésiter. Ils espèrent qu’à Rome le parti religieux opposé au parti politique, qui a pour chefs le cardinal Antonelli et M. de Mérode, l’emportera et fera pencher le pape du côté de la jeune Italie. Ils font valoir aux yeux du saint-père l’influence que la liberté de l’église établie en Italie aurait sur l’organisation catholique dans les autres pays. Partout le catholicisme tendrait à obtenir les libertés qui lui seraient accordées dans la péninsule, et qu’après un tel exemple il serait difficile de lui refuser ailleurs. Ils font entrevoir au pape qu’une ère nouvelle s’ouvrirait ainsi à la religion, que ce serait la fin des servitudes que le concordat, le gallicanisme et le joséphisme lui avaient infligées.

Quelle sera l’issue de ce grand combat de conscience qui va se livrer au sein de la cour de Rome ? Nous n’essaierons point de le prédire. La dernière allocution consistoriale prononcée par le pape n’est point de nature à donner de grandes espérances à la solution libérale dont M. de Cavour a pris l’initiative avec une calme intrépidité, en dépit du violent langage du saint-père. Quant à ceux qui douteraient de la sincérité avec laquelle M. de Cavour présente à l’église cette transaction, le ministre italien leur a ré-