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L’acte de 1857, ou plutôt de 1853, avait beau accorder au gouvernement le droit de transporter les condamnés dans des pénitenciers coloniaux, une forte partie des prisonniers devaient achever leur peine dans la mère-patrie, et à leur égard le problème des libérés était loin d’être résolu. Malgré tout le succès que la discipline des prisons pouvait obtenir en s’appliquant à les réformer, malgré tout ce qu’elle pouvait faire indirectement pour les aider à trouver du travail en leur donnant vraiment la volonté de revenir au bien, le public ne persistait pas moins à les repousser, et en Irlande surtout le mal avait une gravité toute particulière ; car outre que les préventions y étaient plus tenaces, l’Irlande n’avait point de sociétés privées comme celles qui s’étaient fondées en Angleterre pour favoriser l’émigration des libérés. Cette terrible proscription lancée par la défiance générale, il s’est trouvé des hommes qui n’ont pas désespéré de la vaincre ; à leur tête, il faut citer le capitaine Crofton, et là encore le désir de combattre le mal a suffi pour suggérer le remède.

Suivant les paroles du capitaine Crofton, c’était en vain que les directeurs engageaient le public à accepter les services des condamnés qu’ils jugeaient réformés : le public ne voulait pas croire à leur témoignage ; les bonnes notes obtenues en l’absence des tentations que le détenu aurait à rencontrer plus tard dans le monde ne semblaient point une garantie suffisante pour l’avenir. En conséquence, le rapport du capitaine concluait à l’établissement de prisons intermédiaires, c’est-à-dire d’un régime mixte, qui tiendrait encore de la détention, mais qui tiendrait déjà de la liberté, et qui serait combiné tout exprès pour exposer les prisonniers à des tentations et pour donner ainsi au public l’occasion de se convaincre qu’ils étaient vraiment changés, vraiment laborieux, vraiment capables de se bien comporter par eux-mêmes. Dans les prisons intermédiaires, on laisse donc aux détenus une grande latitude d’action ; on les emploie comme commissionnaires ; on les envoie seuls, et souvent à de grandes distances, exécuter des travaux ; on leur permet d’avoir des rapports avec la population, et on leur abandonne même, pour qu’ils la dépensent comme ils l’entendent, une partie de leurs gratifications hebdomadaires. En un mot, on veut qu’ils aient eux-mêmes à se vaincre et qu’ils soient obligés de faire acte de volonté pour se conformer à leurs devoirs. C’est une vérité universelle, remarque M. von Holtzendorff, que la contrainte n’enseignera jamais l’usage de la liberté. Notre expérience le prouve chaque jour à l’égard des enfans, comme l’histoire à chacune de ses pages le prouve à l’égard des peuples : pour apprendre à bien vouloir, il faut avoir l’occasion de vouloir, il faut avoir la liberté de se mal décider ; mais le système irlandais ne se contente pas de mettre à profit cette vérité, qui jusqu’ici n’était jamais entrée complètement dans la science pénitentiaire, il ne néglige rien de ce qui peut influer sur la volonté des futurs libérés pour lui donner une bonne direction. Durant cet apprentissage de la prison intermédiaire, la crainte qui retient et l’espoir qui encourage sont sans cesse mis en jeu. En même temps qu’on émancipe à demi le prisonnier, on fait en sorte que partout il garde le sentiment d’une surveillance qui ne se relâche jamais, tout en se rendant invisible. En même temps qu’on lui donne toute facilité pour violer ses devoirs, on exige de lui qu’il se conforme