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partie de sa peine qui peut lui être remise, il faut qu’il ait traversé successivement trois classes, et quelquefois quatre, qu’il ne peut franchir que par sa bonne conduite. La catégorie la plus basse est la classe d’épreuve où les prisonniers sont autant que possible soumis à l’isolement et où ne passent que ceux qui se sont mal comportés pendant leur détention cellulaire ; puis viennent les trois classes qui sont pour tous les condamnés les degrés réguliers et nécessaires de la servitude pénale. Le travail est à peu près le même pour ces trois catégories ; mais dans chacune d’elles les prisonniers ont un costume différent et portent au bras une plaque distinctive où leur conduite individuelle est également indiquée par des marques. Suivant l’élévation de la classe, ils peuvent aussi recevoir une gratification qui varie de 10 centimes par semaine à 40 centimes. De même d’ailleurs qu’ils n’obtiennent leur avancement qu’en le méritant, ils sont à chaque instant exposés à le perdre par leurs fautes. Ils peuvent être rejetés dans une classe inférieure, et par là même éloignés du moment où ils auraient l’espoir d’être libérés conditionnellement.

Malgré sa complexité apparente, tout ce système repose sur un principe si simple, si évidemment juste, qu’on s’étonne qu’il ait pu être méconnu pendant tant de siècles. Cela prouve une fois de plus que ce n’est pas l’esprit qui voit clair et qu’une bonne intention fait soudain découvrir des multitudes de vérités qui pour la raison seule seraient demeurées à tout jamais inconcevables. De fait, l’étrange barbarie où la science pénitentiaire était restée jusqu’à nos jours ne peut s’expliquer que par une indifférence absolue pour le sort des condamnés. On les jetait en prison pour s’en débarrasser et on ne songeait plus même à se demander ce qu’ils pouvaient devenir. Si on eût pris seulement la peine d’y penser, on aurait vite compris que tout emprisonnement cellulaire ou autre, et en général que tout châtiment, quand il doit se prolonger sans variation et sans chance aucune d’abrègement jusqu’au bout du terme fixé par la sentence, ne saurait guère aboutir qu’à exaspérer la malice et à enraciner davantage la dépravation. L’isolement pendant un certain temps peut avoir une grande puissance pour vaincre la violence des caractères et pour amener une disposition aux bonnes réflexions ; mais à la longue, si le détenu ne tombe pas dans l’idiotisme, il n’emploiera ses loisirs forcés qu’à comploter pour le temps où il sera libre des projets de vengeance. Donnez-lui au contraire une chance de soulagement, une occasion de faire quelque chose pour lui-même ; qu’il lui soit possible, s’il veut remplir certaines conditions, d’alléger ou d’abréger sa peine et surtout d’obtenir un bon renom : c’en est assez pour mettre en jeu ce qui peut rester en lui de bonne volonté. C’est là une espérance sur laquelle il peut placer ses pensées, c’est là un but à la poursuite duquel il peut employer son activité. Éveiller ainsi le sentiment de la responsabilité personnelle, offrir à chaque instant au détenu un objet d’ambition immédiate et l’habituer à donner lui-même une bonne direction à sa volonté, voilà toute la philosophie du système anglais.

Quant au perfectionnement que ce système, a reçu en Irlande, il consiste en un dernier degré d’épreuve qui vient encore s’interposer entre la première classe de la servitude pénale et la libération avec billet de tolérance.