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Dieu maintenant protège la bonne cause !… » Milady Carlisle écoutait ce discours avec un air passablement ironique : — Je ne sais si Dieu les protégera, me dit-elle à demi-voix, comme je lui donnais la main pour passer dans un autre salon… Mais vous n’ignorez point que le diable s’est mêlé de leur affaire assez à propos pour eux. Qu’en dites-vous, monsieur le Français ? — Que l’enfer doit être un lieu de délices, lui répondis-je en la regardant avec admiration. — Oui… comme la vengeance est une douce chose, repartit la belle comtesse, dont la physionomie était sombre à faire peur.

Voilà, madame, le récit que vous désiriez. Il vous dira où nous en sommes et convaincra, je pense, certaines personnes qu’elles n’ont à redouter d’ici aucun obstacle. Le roi d’Angleterre a beaucoup d’affaires, sur les bras, et il les a pour longtemps. Son éminence peut donc tout à son aise rudoyer les parlemens de France et faire tête aux Espagnols. Son plus redoutable ennemi est tombé, l’an dernier, dans les bois de la Marfée. On nous parle bien ici d’une conspiration qui s’ourdit à grand’peine, et qui, vu le nom et la qualité des personnages, me semble compromise d’avance. à la place de M. Le Grand[1], j’y regarderais avant de m’attaquer à un homme dont les coups portent si vite et si loin sur tout ce qui fait obstacle. Sa majesté le roi d’Angleterre saurait que lui en dire à cette heure, et je me figure que, dans le trouble de ses pensées, certaine soutane rouge lui apparaît quelquefois. Pour moi, j’admire, en même temps que notre grand ministre, ces obstinés parlementaires anglais qui, pied à pied, sans se lasser jamais, gagnent du terrain, s’établissent en des postes inexpugnables, et tiennent en échec un des plus puissans monarques du monde. Je les connais maintenant, et vous peux annoncer qu’ils le mèneront loin, s’il n’y prend garde. Il y a des gens parmi eux qui commencent à parler de république. Aucun n’y songeait il y a deux mois…..

Tel est le récit du brave capitaine Hercule Langres. Strictement historique dans toutes les parties qui se peuvent vérifier, il porte en lui-même sa garantie de sincérité, et, le comparant aux récits de la même époque si savamment mis en œuvre par M. John Forster, nous n’y avons signalé aucune inexactitude de quelque importance. C’est ce qui nous a donné l’idée de le publier comme une curieuse annexe à toutes les histoires de la révolution d’Angleterre.


E.-D. FORGUES.

  1. On appelait ainsi M. de Cinq-Mars, le grand-écuyer, qui fut exécuté, comme chacun sait, le 12 septembre 1642.