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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/89

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en Angleterre ne trouvent guère à s’employer que dans les manufactures ; en France, elles ont d’autres ressources, elles prennent la part la plus active à la vente au détail ; les industries de mode et de luxe particulières à notre pays favorisent leurs goûts et leurs aptitudes. C’est plutôt par la création d’écoles spéciales que par l’introduction d’une nouvelle branche de travail qu’on pourra développer les ressources des femmes. Dans tous les cas, on ne parviendra pas à leur procurer des salaires équivalens à ceux qu’elles trouvent dans les manufactures. Il n’y a donc là que des palliatifs, et non un véritable remède.

Quant au troisième moyen, il importe de ne pas s’y méprendre : faire des mariages, ce n’est pas relever l’esprit de famille. Il est très bon de régulariser des situations, de donner des droits à la femme, un état civil aux enfans : c’est une œuvre dont s’est chargée la société de Saint-François-Régis, et à laquelle on ne saurait trop applaudir ; mais que devient la famille, une fois le mariage conclu ? Le mari renonce-t-il au cabaret pour vivre dans son intérieur ? Prend-il des habitudes d’économie ? Met-il sa femme en état de s’occuper des enfans et du ménage ? Pas du tout ; d’honnêtes gens se sont chargés d’aplanir pour lui toutes les difficultés du mariage ; ils ont fait venir ses papiers et ceux de sa future, obtenu toutes les autorisations nécessaires, pourvu à toutes les dépenses ; il n’a plus qu’à dire un mot et à signer un registre ; il se laisse faire, et continue après la cérémonie à vivre comme auparavant. Il y a un mariage de contracté sans doute ; mais on n’oserait pas dire qu’il y a une famille de plus. Cet avantage, qui pourtant est réel, nous laisse bien loin du but qu’il s’agit d’atteindre. Il faut que le mariage soit réellement une institution sacrée aux yeux de ceux qui le contractent, et qu’il devienne pour eux une source de moralisation et de bien-être : si on n’a pas fait cela, on n’a rien fait.

On s’en prend quelquefois pour expliquer le mal à l’insuffisance du salaire des hommes : si le mari pouvait avec son seul travail soutenir la famille, les femmes, dit-on, n’auraient plus besoin d’entrer dans les manufactures. Il est vrai ; mais raisonner ainsi, c’est prendre l’effet pour la cause. Au lieu de compter, pour reconstituer la famille, sur la position meilleure des ouvriers, c’est surtout par la vie de famille qu’on peut espérer de les enrichir. Il faut le dire aux ouvriers et en être soi-même convaincu : on n’arrivera jamais à relever directement les salaires par l’intervention de l’état. Tout ce que peut faire l’état, c’est de rendre les crises plus rares en s’efforçant de répartir les bras sur le territoire suivant les besoins, et de les rendre moins cruelles en donnant plus d’extension aux travaux publics dans les momens où l’industrie privée diminue ses commandes.