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Il peut aussi, par de bonnes lois et une administration à la fois très ferme et très réservée, favoriser le développement du travail national. Hors de ces deux points, il n’y a guère que des utopies. Les partisans de l’organisation du travail se flattent d’abolir la fatigue en restreignant le travail, et le paupérisme en tarifant les salaires. Est-il besoin de prouver que ce n’est là qu’un rêve ? Le despotisme, en politique, met quelque temps à détruire un peuple ; en fait de commerce et d’industrie, il est plus expéditif : il ne lui faut qu’un jour pour amonceler les ruines. L’éternelle et nécessaire loi du travail est la liberté, liberté pour l’ouvrier, liberté pour le capital. La science économique parviendra-t-elle à créer une combinaison qui, sans blesser en rien la liberté, attribue au travail une plus large part dans les bénéfices ? Nous voulons l’espérer ; mais il n’est nullement établi que la réalisation même d’une telle espérance dût tourner au profit de la famille. Dans nos ateliers, les ouvriers les mieux payés ne sont ni les plus rangés, ni les plus heureux ; on peut même dire qu’ils ne sont pas les plus riches. À quelque point de vue qu’on se place, c’est donc une réforme morale qu’il s’agit de faire. C’est en préférant le bonheur domestique à tous les ruineux et dégradans plaisirs du cabaret qu’un ouvrier triomphe de la sévérité de sa condition, et c’est à le rendre capable de soutenir et de conduire une famille qu’il faut employer toutes les forces de la bienfaisance publique et privée. Ainsi sera obtenu, avec une vie meilleure pour l’ouvrier, ce changement dans la condition de la femme ouvrière, qui doit exercer sur les populations de nos villes industrielles une si salutaire influence.

Dans l’antiquité, le travail était esclave ; depuis l’avènement du christianisme, il est libre en principe, et tend de jour en jour à le devenir davantage dans la pratique. Les théories communistes, en tarifant les salaires et en ôtant à l’ouvrier la libre disposition de sa force, qui est son apport social, remontent le courant et nous ramènent au travail esclave. Il en est de l’assistance légale quand elle s’attribue le droit de contraindre au travail l’ouvrier assisté, ainsi que cela se pratique en Angleterre[1], comme de l’assistance privée, quand elle prend l’ouvrier en tutelle, sous prétexte de l’éclairer sur ses intérêts, de lui apprendre ses devoirs et de le surveiller jusque dans ses plaisirs. Loin de traiter les ouvriers en mineurs et en incapables, hâtons-nous d’en faire des hommes. Il y a pour cela trois moyens : développer chez eux le sentiment de. la responsabilité individuelle ; fortifier leur volonté par l’éducation, le travail et l’épargne ; les rattacher aux intérêts généraux de la so-

  1. Statut général de 1816 (56, George III, ch. 129.)