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au XIIe siècle, et sont des vies de philosophes. Tous les hommes du XIe et du XIIe siècle sont les fils d’une révolution ; il y a dans leur esprit la force et la nouveauté que les révolutions donnent toujours. C’est Anselme le Péripatéticien, auteur du Rhetorimachia, jusqu’à présent confondu avec Anselme de Laon. En rendant à ce maître le siècle d’ancienneté qui lui avait été enlevé, M. Hauréau prouve l’existence d’une grande école péripatéticienne, célèbre en Italie dès les premières années du XIe siècle. C’est Gaunilon, dans sa jeunesse prévôt et trésorier laïque de Saint-Martin de Tours, dont l’abbé laïque est le roi de France ; dans sa vieillesse, moine de Marmoutiers et adversaire théologique d’Anselme du Bec (plus tard de Cantorbéry). C’est Roscelin de Compiègne, le nominaliste, maître et ennemi d’Abélard, et Guillaume de Conches, le platonicien, émule et rival du même Abélard. Roscelin, Abélard et Guillaume professent des doctrines différentes ; tous trois sont condamnés par l’église. Les moins illustres sont pardonnés, le plus grand meurt de douleur.

Ainsi, dans ces vies de poètes, de grammairiens, d’abbés et de philosophes, sans lien entre elles et sans autre ordre que l’ordre chronologique, on distingue la marche des temps et l’on suit le mouvement de l’esprit humain du VIe au XIIe siècle. D’abord la science et la piété combattent la barbarie : timides chez les Gallo-Romains, fils de générations façonnées au despotisme ; hardies et rebelles chez les Irlandais, dont les pères n’ont pas été asservis. Ensuite les lueurs s’effacent. Au temps des rois fainéans, l’anarchie, qui s’est emparée de la race conquérante, accable la race conquise. Le pouvoir ayant été restauré par Charles-Martel et l’église unie à l’état par Pépin, Charlemagne donne une place officielle aux sciences, aux lettres et à la théologie dans l’empire des Francs. Tout s’écroule après sa mort. La science et la piété luttent contre le désordre intérieur, comme trois siècles auparavant elles luttaient contre la barbarie étrangère. Une révolution sociale immense rajeunit l’Occident. L’esprit humain a désormais le champ libre ; il refait, avec les débris du passé, les croyances en même temps que les institutions et le langage. Les écoles s’élèvent contre les écoles. La philosophie attaque la théologie ; elle prétend l’expliquer, elle veut lui imposer ses lois. Alors, dans l’ordre intellectuel comme dans l’ordre matériel, la tyrannie succède à l’anarchie.

D’où vient que ce petit livre, distraction d’érudit que s’est donnée le continuateur du Gallia christiana, laisse des impressions et des souvenirs ? Le style est simple, animé, presque latin, comme il convient au sujet, et comme pouvait seul l’avoir avec aisance un homme qui a publié des in-folio en langue latine. Il y a de l’art dans la façon dont sont présentés les personnages, et l’on aime l’ardeur pour les buts désintéressés qui distingue l’écrit comme la personne de M. Hauréau. Toutefois ce qui plaît à mon ignorance, c’est l’érudition assez hardie pour se contenter de ses qualités propres et n’aller pas chercher en dehors d’elle-même des stimulans à l’intérêt. Le