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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/105

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que la liberté d’interprétation appliquée par chacun à résoudre le problème selon ses vues propres peut jeter dans la science une véritable confusion.

M. Berthelot s’est fait l’organe de la réaction contre ce système : convaincu que l’analyse ne pouvait à elle seule éclaircir les points les plus fondamentaux de la chimie rationnelle, puisqu’elle ne juge des corps, comme on l’a dit, qu’après qu’ils n’existent plus, il chercha dans la synthèse un nouveau moyen de pénétrer plus profondément dans les relations générales qui président aux affinités naturelles. Cette tentative avait plus d’un genre d’utilité. Si elle réussissait, elle permettait de donner à l’enseignement de la chimie organique la forme propre à toutes les autres sciences, qui procèdent du simple au composé, tandis que jusque-là on avait suivi la marche contraire. Servant en quelque sorte de contre-épreuve à l’analyse, elle devait en corroborer les résultats et les éclairer d’une lumière nouvelle. Enfin, chose plus importante, elle devait ouvrir à l’expérimentation des voies encore inexplorées, et faire mieux connaître la nature des forces qui sont en jeu dans la matière organisée. Pendant longtemps, la science avait admis une distinction fondamentale, au point de vue de la synthèse, entre les substances minérales et les principes immédiats organiques ; tandis que l’on composait les premiers de toutes pièces en combinant les élémens que l’analyse y avait reconnus, on supposait que la formation des seconds ne dépendait pas seulement du jeu des affinités chimiques, mais exigeait encore l’intervention de forces dont l’homme ne peut disposer. On avait, il est bien vrai, réussi à produire quelques substances analogues aux principes organiques, et pourtant Berzelius cherchait à atténuer la portée de ces expériences en faisant remarquer que ces substances étaient « placées sur la limite extrême entre la composition organique et la composition inorganique. » De ce nombre était l’urée, produite artificiellement par un des premiers chimistes de l’Allemagne, M. Wöhler, en 1828. Les chimistes avaient également composé de toutes pièces un assez grand nombre d’alcalis organiques ; mais ces recherches avaient toujours porté sur des corps qui empruntent un grand nombre de leurs propriétés fondamentales aux élémens minéraux qui ont servi à les produire. La synthèse n’avait pas pénétré dans le domaine entier de la chimie organique, et en 1844 Gerhardt pensait encore que la formation au sein des organismes vivans de ces substances où toutes les propriétés fondamentales des corps simples composans sont entièrement dissimulées tenait « à l’action mystérieuse de la force vitale, action opposée, en lutte continuelle avec celles que nous sommes habitués à regarder comme la cause des phénomènes chimiques ordinaires. »