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par exemple, où elle est capable de déployer, à côté d’émotions sérieuses, un feu, une humour et des grâces toutes britanniques[1]. Quoique encore assez jeune (elle ne compte guère que trente ans), miss Amy Sedgwick respecte et ménage son talent ; elle joue assez rarement, même à Haymarket. Mariée à un médecin distingué, le docteur W. Parkes, elle partage sa vie entre le foyer domestique, le monde et le théâtre. Dans ces derniers temps, elle a, paru affectionner un genre de divertissement littéraire qui convient parfaitement à sa nature, et qui n’est, j’imagine, guère connu en France : ce sont les lectures dramatiques ( dramatic readings). L’actrice interprète dans ces séances, devant un public de connaisseurs, des morceaux choisis parmi les chefs-d’œuvre des maîtres : Shakspeare, Sheridan, Tennyson, Campbell et Dickens.

J’ai souvent regretté que Haymarket, en sa qualité d’ancien théâtre privilégié, ne consacrât point une partie de l’année à faire revivre quelques-unes des vieilles comédies anglaises. À cela il y a sans doute, plus d’une difficulté : d’abord le goût du public, et ensuite les acteurs, qui ont perdu les saines et bonnes traditions. Ce second obstacle est, à mon avis, le plus sérieux. J’en jugé par une charmante comédie de Goldsmith : Elle se courbe pour vaincre (She stoops to conquer), que j’ai vu jouer à ce théâtre pour les débuts d’une actrice, miss Fanny Stirling[2]. La situation est des plus plaisantes, deux Anglais qui ont perdu leur route arrivent vers la nuit dans une taverne de campagne où ils demandent à coucher. On leur dit qu’il n’y a point de lit, mais qu’ils trouveront dans le voisinage une excellente auberge. La maison vers laquelle les dirige par malice le fils même de la famille est celle de M. Hardcastle, qu’ils ont tant cherchée et où ils sont attendus. L’un de ces deux Anglais est un caractère particulier à son pays, timide dans le monde, hardi dans les hôtels : qu’on juge donc des libertés qu’il prend avec le maître et avec la fille de la maison, dans laquelle il s’obstine à voir une jolie aubergiste, barmaid. Malheureusement le jeu des acteurs ne répond pointà la délicatesse du talent de Goldsmith : il est lourd, chargé, visant plutôt à la bouffonnerie qu’au, comique. Il y a pourtant un caractère qui se détache sur ce fond exagéré avec les couleurs de la vie et de la vérité locale : c’est celui de Tony Lumpkin,

  1. Il faut surtout la voir dans la délicieuse comédie de Shakspeare : Much ado about nothing (Beaucoup de bruit pour rien). Son âpre ironie a été comparée dans cette pièce à un chardon en fleur qui laisse au vent le soin d’emporter ses pétales amoureuses. Malgré ces qualités, Mlle Sedgwick joue avec plus d’artifice que de naturel. C’est par là qu’elle reste inférieure aux grandes actrices du dernier siècle.
  2. Fille de mistress Stirling, une des meilleures actrices du théâtre anglais, que nous retrouverons dans la comédie moderne.