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représenté par Buckstone. L’acteur est trop vieux pour le rôle[1] ; mais on retrouve chez lui le squire campagnard tel qu’il existait il y a un siècle, tel qu’il existe encore, je le crains, dans certaines parties excentriques de l’Angleterre. Ce grand enfant gâté, qui a plus de vingt ans et qui ne sait pas lire, hanteur de tavernes, amateur de chevaux, de chiens et de combats de coqs, se fiant à sa fortune pour couvrir et faire excuser son ignorance, rude de manières, jovial, espiègle, bon cœur au fond, est, grâce à Goldsmith et à Buckstone, une dès plus excellentes peintures de mœurs que puisse offrir la scène anglaise. Je me suis souvent demandé si un théâtre qui ferait ainsi passer en revue les comédies des deux derniers siècles ne serait point la meilleure source à laquelle un étranger pourrait venir étudier l’histoire du caractère national.

Drury-Lane, Covent-Garden et Haymarket ont d’ailleurs perdu aujourd’hui la plus grande partie de leurs privilèges. Dès 1830, les petits théâtres de Londres, ou, comme on les appelait alors, les minor theatres, avaient commencé à jouer le drame. Pour éluder la loi qui leur interdisait ce genre de littérature, quelques notes de piano accompagnaient la représentation. En 1830, les propriétaires de Drury-Lane et de Covent-Garden, jaloux de conserver leur monopole, lancèrent contre ces théâtres une plainte qui ne fut point accueillie par les magistrats de Bow-street. Enfin en 1832 l’influence de Bulwer à la chambre des communes fit effacer de la loi une restriction qui était condamnée par les mœurs et par l’esprit de tolérance. Aujourd’hui tous les théâtres peuvent toucher à toutes les branches de l’art. Sous le régime de la liberté, le drame a-t-il reconquis dans les petits théâtres de Londres le terrain qu’il a perdu, — nous l’avons montré, — — dans les trois royales demeures où il était autrefois protégé contre la concurrence ? C’est là une question à laquelle les faits vont répondre.


II

Nos regards doivent d’abord se fixer sur le plus ancien des minor theatres, devenu aujourd’hui, si j’ose le dire, la « maison de Shakspeare. » Il doit son nom, — Sadler’s-Wells theatre[2], à une source minérale qui appartenait jadis aux moines de Saint-Jean, dans Clerkenwell. Ces eaux étaient renommées comme guérissant toutes les maladies. On s’y rendait en foule, quand un ordre de Cromwell fit cesser un pèlerinage que le protecteur condamnait comme un reste

  1. Buckstone a cinquante-neuf ans.
  2. Wells en anglais veut dire puits, source, fontaine.