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des superstitions papistes. La même source, retrouvée plus tard par des ouvriers qui bâtissaient une salle de thé et de musique (tea and music house), fut, dit-on, exploitée avec succès. Sadler, un des premiers régisseurs, donna son nom à l’établissement, qui prit peu à peu le caractère d’un théâtre de troisième ordre. On y jouait des burlettas et des pantomimes ; mais le principal attrait de l’endroit était la danse sur la corde raide et les sauts des bateleurs. La salle ayant été en partie reconstruite, on y introduisit de l’eau sur la scène, et l’on y donna des représentations nautiques. Cette circonstance, et plus encore le talent extraordinaire de Joey Grimaldi, le plus grand des clowns, attirèrent quelque temps la foule. Cependant Grimaldi mourut, les spectacles nautiques perdirent le charme de la nouveauté, et ce théâtre traînait dans un coin de Londres une pauvre et triste existence, quand le souffle de Shakspeare vint le régénérer.

On était alors en 1844 ; la cause du drame légitime semblait perdue devant le public, Macready venait d’essayer à Drury-Lane la puissance de la mise en scène et du talent d’interprétation appliqués aux œuvres du grand poète national. À cette expérience il avait gagné de la gloire, mais il avait perdu de l’argent. Les dépenses énormes qu’entraînaient des représentations dramatiques sur un si grand style et dans un aussi vaste théâtre n’avaient sans doute point été inutiles à l’art ni au public. Seulement le directeur en avait souffert, et les deux théâtres de Londres consacrés au drame, Covent-Garden et Drury-Lane, avaient juré de profiter de la leçon en se tournant vers d’autres dieux, fût-ce même vers le veau d’or. La situation, comme on voit, n’avait rien d’encourageant, du moins au point de vue industriel, pour les admirateurs de Shakspeare. Ce fut pourtant alors que deux hommes entreprirent à leurs risques et périls de relever le caractère du théâtre anglais, dégradé par toute sorte de divertissemens vulgaires, et de restaurer le drame poétique. L’un, M. Greenwood, était un régisseur intelligent ; l’autre, M. Phelps, était un tragédien qui avait fait ses preuves à côté de Macready. Loin de croire avec la plupart des directeurs d’alors que Shakspeare était passé de mode, ils se dirent au contraire que rien ne l’avait jusqu’ici remplacé, — que rien sans doute ne le remplacerait, et qu’il suffisait des puissantes beautés du poète, sans les ruineuses magnificences de la mise en scène, pour ressaisir l’enthousiasme constant du public anglais. Ayant choisi le petit théâtre de Sadler’s-Wells, les deux associés se partagèrent le terrain : le premier se chargea de la salle, le second de la scène, laissant ainsi le rideau marquer les limites de leur empire. Le drame poétique sortit bientôt triomphant d’une lutte où il n’avait pour vaincre que