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cette indécision ajoute au sentiment de terreur mystérieuse que nous inspirent ces maîtresses de la nuit ; toutefois, par leur langage, par leurs danses, par l’ensemble des idées qu’elles éveillent, ces trois personnifications de la fatalité ne se rapprochent-elles pas plus de la femme que de l’homme ? Passe encore si les rôles de sorcières étaient remplis par de jeunes tragédiens ; ils sont au contraire le plus souvent confiés aux low comedians de la troupe. Il est bien vrai que Shakspeare les décrit comme des figures ridées et sauvages, il est bien vrai encore que l’intention philosophique du poète est d’établir un contraste entre l’état dégradé de ces créatures et l’étendue des pouvoirs surnaturels qu’elles exercent ; mais faut-il donc en faire des caricatures repoussantes ? Pourquoi ne point suivre ici le sentiment des Grecs, qui avaient accordé un genre de beauté même aux trois Parques ? Et pourtant ce n’est que devant la scène anglaise qu’on peut se faire une idée de l’importance et de la grandeur farouche que cette intervention du merveilleux répand sur toute l’action du drame. Un critique de la Grande-Bretagne a fait observer avec raison que, sans l’influence des sorcières, qui relève, soutient et consacre en quelque sorte par l’oracle du destin l’ambition de l’usurpateur et de sa femme, Macbeth ne serait guère plus qu’un brigand vulgaire. Ces formes visibles, qui prolongent en quelque sorte ses idées et sa passion dominante dans l’infini du monde surnaturel, donnent aux desseins et au caractère du prince écossais des proportions héroïques. On s’intéresse à lui comme à l’homme du destin. Les scènes où figurent les sorcières et qui font passer d’acte en acte le spectateur du rêve à la vie réelle, ouvrent dans la sombre économie du drame des perspectives illimitées. Ces trois puissances en haillons du monde invisible, ces glaciales figures qui promènent leurs doigts maigres sur leurs lèvres sèches ou lèvent leurs bras décharnés vers le ciel, la scène du chaudron et du crapaud, les évocations que ces gardiennes du secret des secrets font passer devant les yeux de Macbeth, les ténèbres visibles qui planent alors sur le théâtre et couvrent la naissance d’événemens ténébreux, les sourds roulemens du tonnerre, tout ajoute un caractère inexprimable à l’action par elle-même si dramatique. N’est-ce point ici que je comprendrais surtout qu’on fît intervenir les effets de la mise en scène ? Il paraît néanmoins qu’à l’époque de Shakspeare, et longtemps après lui, le théâtre imitait encore très faiblement les grands météores de la nature. Le nouveau tonnerre, comme on l’appelait vers la fin du dernier siècle, fut introduit par un certain Denys pour une tragédie à lui, qui tomba dès la première représentation. Peu de temps après, il assistait à une représentation de Macbeth, quand un tonnerre d’une puissance