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manifestation inattendue d’une Pologne qu’elle ne croyait peut-être pas si vivante ; elle est partagée entre l’inquiétude d’un mouvement si nouveau et le sentiment de la nécessité des concessions. Elle n’a pas toujours le don des résolutions heureuses ; elle cède quand la résistance serait naturelle, et elle résiste quand il serait juste de céder, commençant par livrer quelques-uns de ses fonctionnaires les plus compromis et finissant par dissoudre les corporations populaires dont elle a elle-même sanctionné l’existence, dont elle se sert pendant un mois pour maintenir l’ordre, laissant fermenter à la fois toutes les craintes et toutes les espérances par une série d’actes contradictoires et énigmatiques, où il y a sans doute plus d’embarras que de calcul. Alors les manifestations populaires se succèdent, la question grandit, le mouvement se complique et s’aggrave, et en peu de temps tout change d’aspect ; la compression se relève plus que jamais en face d’une agitation morale restée jusqu’au bout innocente de toute violence, de telle sorte qu’il suffit de quelques jours et d’une évolution de la politique russe pour refaire une de ces situations que le prince Repnin caractérisait déjà de son temps avec une inexorable crudité, quand il disait : « Il est vrai qu’à moins de nier tout sentiment d’humanité, on ne peut s’empêcher de reconnaître le droit qu’auraient les Polonais de se plaindre. Vous auriez plein droit de chasser les Russes, si vous le pouviez ; mais vous n’êtes pas en état de le faire, il faut donc vous soumettre… » C’est bien là réellement la question telle que la pose la force victorieuse ; seulement c’est la question telle qu’on a pensé l’avoir si souvent tranchée sans l’avoir jamais résolue. Après les répressions sanglantes du 8 avril, comme après toutes les répressions, le problème des destinées de la Pologne ne reste pas moins debout. Il naît de ces événemens, de leur caractère et de leur portée, au milieu des conditions de transition universelle dans lesquelles le monde contemporain est engagé.

Ce qui fait la gravité de ces événemens si nouveaux, c’est qu’ils se lient à toute une situation européenne, en même temps qu’ils sont l’expression d’un profond travail intérieur dont la Pologne russe est le centre le plus actif, le plus ostensible aujourd’hui, mais qui a aussi son retentissement dans le grand-duché de Posen, dans la Galicie, partout enfin où, malgré les congrès et les traités, vit le sentiment polonais, ce dernier et indestructible lien de la patrie morcelée. Cette question de la Pologne, je ne l’ignore pas, a toutes ses racines dans le passé. Politiquement, diplomatiquement, elle se rattache comme tant d’autres aux transactions de 1815, et lorsqu’on cherche à serrer de près le nœud des affaires de l’Europe, d’où viennent les crises dont cette question a été la malheureuse et éternelle