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ils prennent douze pierres, les rangent en forme de croissant devant les cheikhs de la tribu, qui prononcent l’union au nom de Mahomet, et les voilà bien et dûment mariés. Depuis ce temps, ils vivent à Damas. Mme *** a retiré son mari du désert, où il ne se rend plus que pour combattre ses ennemis ou pour mener à Palmyre des étrangers de distinction.

Le contrat relatif à notre excursion fut conclu avec ce Mighuel. Il s’engagea, au nom de Mohammed son frère, cheikh plus puissant que lui, à nous fournir une escorte de cent hommes armés, montés sur des dromadaires et portant chacun deux outres d’eau. Le rendez-vous lui fut fixé à Homs,, où nous le trouvâmes au jour convenu. Mighuel amenait Mohammed. Le premier est aujourd’hui un gentleman bédouin de bonnes manières ; il porte des revolvers et une carabine anglaise. Est-il besoin de le dire ? son urbanité et ses armes, il les doit à sa femme, qui a poli la rude écorce de l’Arabe et l’a recouverte d’un vernis, de civilisation. Quant à Mohammed, aimable et prévenant, il a des manières douces avec les Européens. Il ne lui manque, pour avoir aussi bonne façon que son frère, que d’avoir fait un aussi beau mariage. Cela dit, entrons dans le désert.

Nous marchâmes une demi-journée sans cesser d’apercevoir à l’ouest les tours de Homs, et nous arrivâmes vers le milieu du jour à uncamp de nomades assis dans un pli du terrain auprès de quelques puits grossièrement creusés dans la terre : c’était le camp de Mohammed. Un de ses frères, un troisième chef, nous y attendait, franc Bédouin, celui-là, au regard et au visage rudes. L’influence de sa belle-sœur ne s’est pas étendue jusqu’à lui. Nous fûmes reçus sous la tente de Mohammed, tente noire en forme de carré long, faite d’un canevas serré en poil de chameau. Plusieurs piquets l’élèvent de quelques pieds au-dessus du sol. Au milieu tombe une toile, qui sépare la partie où le maître donne l’hospitalité à ses hôtes de celle où se tiennent les femmes, les enfans et l’animal de prédilection, la jument. On abaisse la nuit d’un seul côté, afin de se garantir du vent froid,. Malgré la chaleur, nous étions assez fraîchement établis, et, contrairement à ce que j’aurais pensé, la couleur noire et le tissu arrêtaient bien les rayons du soleil.

Les Arabes du campement, curieux de contempler des Européens et attirés surtout par la nouvelle qu’il y avait parmi eux des fils de roi, formaient cercle autour de la tente. Le premier rang était à genoux sur la terre, près des tapis réserves aux seuls personnages de distinction ; le second se tenait debout. Leurs visages marquaient la surprise, mais ils étaient placides et graves dans leur étonnement. Les larges plis de leur robe leur donnaient une apparence de dignité patriarcale Ainsi je me figure les assemblées populaires dans les nations primitives. À l’extérieur, le calme régnait, car c’était