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le 16 mars, le Nozze di Figaro de Mozart avec un personnel insuffisant et une distribution des rôles des plus maladroites. Il y avait si long temps que cet admirable chef-d’œuvre n’avait été donné au Théâtre-Italien qu’on aurait pu attendre de meilleures circonstances pour le livrer à un public qui a pu l’applaudir au Théâtre-Lyrique pendant cent-cinquante représentations ! Mlle Battu chantant le rôle de la comtesse avec une voix insuffisante, Mme Penco celui, de Suzanne, pour lequel elle n’est pas faite, Mme Dalmondi, venant grimacer les deux morceaux incomparables de Voi che sapete et Non so piu cosa son, cosa faccio, ont excité la juste indignation de plusieurs abonnés de goût, qui ont bien voulu nous transmettre leurs doléances. Et M. Angelini, a-t-il été lourd et empêtré dans le rôle de Figaro ! M. Badiali seul a su prêter au personnage du comte quelques-unes des qualités exquises qu’il exige.

Cela est triste d’entendre de pareilles choses au Théâtre-Italien de Paris, qu’on pourra bientôt surnommer le théâtre des quatre nations, car les chanteurs nés au pays d’où viennent les figues et les oranges y sont de plus en plus rares ! En effet, indépendamment de Mlle Battu, qui est de Paris, de Mme Dalmondi, qui est Allemande, d’un M. Llorentes, une basse espagnole, le Théâtre-Italien nous a fait entendre, au commencement du mois d’avril, une nouvelle cantatrice du nom de Mlle Trebelli. Qu’est-ce que Mlle Trebelli, et d’où vient-elle ? C’est une Parisienne, élevée à Paris sous la direction de M. François Wartel, qui, pendant plusieurs années, lui a donné des leçons de chant, Mlle Trebelli ou Mlle Gilbert, je crois, a débuté, il y a deux ans, au Théâtre-Italien de Madrid, dirigé alors par M. Mario. Les succès réels et instantanés que Mlle Trebelli avait obtenus à Madrid lui ont valu un engagement à l’une des deux troupes de chanteurs italiens qui ont passé l’hiver dernier à Berlin, Mlle Trebelli a chanté au Théâtre-Royal, sous la direction d’un certain Morelli, le rôle de Rosine du Barbiere di Siviglia et celui d’Arsace de la Semiramide de Rossini avec un très grand éclat, assure-t-on. De Berlin, Mlle Trebelli est allée à Bruxelles, où, pendant deux mois, elle a émerveillé, les amateurs de cette ville très musicale. Que faut-il penser enfin de Mlle Trebelli ? Quel est le genre de son talent ?

Mlle Trebelli est une jeune personne de vingt-quatre ans peut-être, bien prise dans sa taille, moyenne, et d’une physionomie intelligente. Sa voix est un mezzo-soprano très étendu vers le haut, d’une égalité parfaite, et teintée vers le bas d’une certaine sonorité de contralto ; mais ce n’est pas un contralto proprement dit. La voix de Mlle Trebelli me rappelle un peu la voix de la Pasia, dont elle à la stature, Mlle Trebelli vocalise avec une grande perfection de mécanisme ; mais ce mécanisme est sans accent, cette voix, très égale et si bien dirigée, manque de rayonnement, de fluide lumineux. En d’autres termes, Mlle Trebelli est froide ; c’est une jolie Parisienne qui chante avec plus d’esprit que de sentiment, avec plus de bravoure que de style. Sa prononciation laisse beaucoup à désirer ; elle déplace parfois l’accent prosodique, et brusque la terminaison des phrases d’une manière souvent