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avant de commencer cette guerre d’extermination. Nous souhaitons que ces espérances optimistes soient confirmées ; mais si cette fatale guerre s’engage, l’Europe libérale ne peut balancer entre les deux camps : ses vœux accompagneront la cause du nord, la cause de la liberté humaine et de l’émancipation contre le parti cynique et violent de l’esclavage. Parmi les encouragemens les plus éloquens que l’Europe libérale et chrétienne pourrait envoyer aux champions de la liberté américaine, nous signalerons un livre de M. Agénor de Gasparin. Un grand Peuple qui se relève, tel est le titre que le généreux écrivain donne à son ouvrage sur les États-Unis en 1861. C’est dire que cet honnête et vaillant esprit n’est point de ceux qui voient dans la crise morale dont elle est travaillée le déclin de la grandeur américaine. Cette crise au contraire purgera les États-Unis du vice de l’esclavage, elle les affranchira de la prépotence qu’y exerçaient depuis tant d’années les propriétaires d’esclaves. Justice ne peut mal faire, s’écrie M. de Gasparin ; il voit donc dans cette guerre, sur le crime de l’esclavage vaincu, se relever un grand peuple.

Si en effet les hostilités s’engagent violemment aux États-Unis, lord Palmerston parlera sans doute de cette guerre avec moins d’agrément que de ces guerres européennes dont les perspectives fantastiques aiguisaient récemment sa gaieté. Un grand intérêt de l’Angleterre, l’intérêt du coton, sera là en jeu. Lord Palmerston est moins sensible sans doute au péril des conflits européens. La raison de sa sécurité pour ce qui regarde l’Europe se laisse aisément pénétrer. L’Angleterre a terminé ses immenses armemens ; elle se sent assez forte pour se faire écouter dans les conseils des grandes puissances et pour empêcher les ennemis qui se dévisagent d’en venir aux mains. C’est moi, dirait volontiers lord Palmerston, qui suis le constable de l’Europe ; celui qui troublera l’ordre aura de mes nouvelles. Cette confiance peut être justifiée pour le présent ; elle suffit, nous le voulons bien, pour permettre au commerce et à l’industrie d’entreprendre avec une sécurité relative leurs campagnes d’été et d’automne. Nous croyons pourtant qu’elle manque de philosophie. Il est triste, même pour un pays comme l’Angleterre, de ne point trouver les motifs de sa sécurité dans les garanties d’un système européen libéral et rationnel, d’être réduit à les puiser uniquement dans ses moyens d’attaque et de défense. On s’aperçoit bien de cet inconvénient quand vient chaque année le jour où il faut compter ce que coûtent les armemens et les sacrifices que l’on impose à la nation pour y subvenir. C’est le petit embarras que lord Palmerston éprouve sans doute en ce moment. M. Gladstone a présenté son budget avec l’art, la lucidité, l’élégance qui n’appartiennent qu’à lui. Le jour de l’exposé financier est pour lui, tous les ans, une journée de triomphe ; mais quand on n’est plus sous le charme de sa parole, la réflexion vient, on contemple les chiffres inexorables, et ce que M. Gladstone mêle d’esprit de système à ses combinaisons finit bientôt par ameuter des oppositions violentes. C’est ce