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fossé, celui derrière lequel s’élève la muraille, il peut voir à sa droite le capitaine Pallu, accompagné et soutenu par plusieurs de ses hommes, et en première ligne par ses lieutenans Berger, Lugeol et Noël ; plus loin, mais dans le même fossé, se trouvent Prouhette, Senez et Brosset, qui ont toujours chargé à la tête de leurs compagnies, et enfin beaucoup d’autres dont le nom m’échappe et au courage desquels je ne puis rendre qu’un tacite hommage.

Un dernier, un vigoureux effort, et le drapeau français va flotter sur les murailles de Ki-oa. Les marins arrachent les bambous qui leur déchirent le corps et la figure, ils franchissent la crête de la muraille, et ils se trouvent dans le fort. L’infanterie de marine, solide et brillante comme d’habitude, y entrait au même moment. Dès lors les Annamites ne trouvèrent plus de salut que dans la rapidité d’une fuite désordonnée ; on en tua cependant un grand nombre, mais le gros de l’armée réussit à s’échapper.

Le fort de Ki-oa avait été pris à neuf heures du matin. Deux mille hommes environ avaient assisté à l’action, et plus de deux cents avaient été tués et blessés. La journée qui suivait le combat fut consacrée au repos ; le lendemain on procéda à l’enterrement des morts ; les blessés avaient été évacués sur les ambulances dès la veille. On comptait parmi eux un grand nombre d’officiers, entre autres le lieutenant-colonel Testard, qui avait reçu une blessure à la tête dont il mourut le lendemain. Les Espagnols, qui n’avaient pu envoyer que cent quatre-vingts hommes à l’assaut, s’étaient montrés dignes de la place d’honneur que l’amiral leur avait assignée. Ils comptaient quarante morte et blessés, et parmi ces derniers leur commandant, le même qui venait de remplacer le colonel Palanca.

Le fort de Ki-oa fut consciencieusement exploré ; mais l’attente de ceux qui avaient espéré y trouver des trésors fut complètement trompée. On ramassa pour quelques milliers de francs de misérable monnaie de zinc, et ce fut tout. Les soldats dédaignèrent de s’en charger, et la trouvaille ne profita guère qu’aux coolies chinois qui suivaient l’armée. Les armes que les Annamites avaient laissées dans le fort étaient assez bonnes, quoique très inférieures aux armes françaises. On prit possession d’une soixantaine de petits canons en bronze, de quelques grosses pièces, la plupart en fonte, d’un grand nombre de fusils à pierre de la fabrique de Saint-Étienne, et de beaucoup de ces armes à feu, appelées gingols, qui pourraient lancer des boulets de 40 à 100 grammes, et qui, chargées jusqu’à la gueule de lingots de fer coupés et hachés, avaient causé beaucoup de mal aux Français. En fait d’armes blanches, on ne trouva qu’un grand nombre de très longues et très lourdes lances. Les Annamites avaient dû abandonner en outre des quantités considérables de poudre et d’autres munitions de guerre ; mais elles furent reconnues trop mauvaises pour pouvoir être utilisées, et il fallut les jeter à l’eau.

Ce qu’il y avait de plus curieux parmi les objets trouvés à Ki-oa, ce furent quelques plans annamites des fortifications autour de Saigon, et la correspondance de la cité chinoise de Saigon avec le mandarin commandant les forces annamites. Les Chinois, prévoyant que l’arrivée des Européens leur arracherait le monopole du commerce des riz dans le Cambodje, priaient le général annamite de compter sur leur entier dévouement pour exterminer les barbares, qui venaient d’être chassés depuis Pékin jusqu’à