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va jusqu’au bout, car le récit est attachant et l’intérêt n’y faiblit pas : on en sort le cœur oppressé. On se demande si c’est là qu’aboutissent fatalement les nations qui disposent d’elles-mêmes, et si ces dégradations sont inséparables de l’exercice de la liberté. Tel est recueil et peut-être aussi l’attrait de ces deux volumes. Il y a tant de gens dans le monde qui font profession de croire que l’homme est né pour la dépendance et que les plus heureux sont ceux qui, aliénant leurs droits de bonne grâce, s’affranchissent du souci de chercher leur propre destinée dans des voies laborieuses ! Faucher a ainsi, sans le vouloir, fourni des armes à nos adversaires communs, et c’est un motif de plus pour restituer aux choses leur véritable caractère.

Sans doute la civilisation anglaise, quand l’auteur des Études l’observa, avait des plaies nombreuses, les unes provenant de mauvaises lois, les autres des emportemens et des vicissitudes de l’activité individuelle. Les premières étaient susceptibles de guérison, et devant les réformes récentes beaucoup ont disparu. Les secondes sont malheureusement inhérentes au régime des industries comme à toutes les autres formes du travail humain ; un traitement judicieux peut les atténuer : elles n’en persistent pas moins avec des symptômes divers. Partout où l’homme use librement de ses aptitudes et de ses forces, les inégalités naturelles se réfléchissent mieux dans la différence des conditions. Le classement se fait en raison de l’énergie et de l’habileté ; ceux-ci prennent les devans, ceux-là restent en arrière. Des premiers rangs aux derniers, les distances sont plus grandes. C’est ce qui a lieu en Angleterre. Il y a là plus qu’ailleurs comme un sédiment qu’abandonne dans sa course le flot du travail, et qui se compose de ce qu’il contient de plus impur. Qu’on y porte la loupe et qu’on en fasse l’analyse, soit, mais à la condition que cet examen ne sera pas exagéré au point d’affecter la valeur de l’ensemble. Pour beaucoup d’observateurs, c’est une pierre d’achoppement. La passion du détail les emporte jusqu’à nuire à la rectitude du coup d’œil, et dans la recherche des accidens particuliers ils oublient ou méconnaissent les phénomènes généraux. Ces erreurs sont d’autant plus graves qu’elles sont sincères et empreintes d’une émotion contagieuse. On est touché comme l’auteur, saisi comme lui de cette pitié qui s’attache au spectacle de la misère et de la souffrance. L’impression est produite, peu y résistent, beaucoup n’en reviendront pas ; d’autres s’en serviront comme d’un moyen à leur convenance et y ajouteront leurs commentaires. Il s’ensuit que des faits même vrais se dénaturent à raison du relief qu’on leur donne et du cadre dans lequel on les place. Tôt ou tard l’autorité d’un ouvrage s’en ressent ; le temps par exemple n’a pas épargné les démentis au livre dont nous parlons. L’Angleterre in-