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de sa part, ni mépris des étrangers, ni impuissance de s’élever jusqu’à eux. Elle a donné jadis un touchant spectacle : la première fois qu’elle vit venir ces Européens qu’elle devait tant repousser depuis, elle admira la supériorité de leurs armes, de leurs vaisseaux, des instrumens de leur industrie ; elle les accueillit avec une curiosité bienveillante, se prêta avec docilité à leurs enseignemens. Bientôt même elle sembla prête à donner un exemple à peu près unique dans l’histoire, celui de la soumission à des croyances nouvelles, sans conquête, sans luttes, par la seule autorité de la tolérance, de la conviction, par l’intelligence facile et vraiment surprenante d’une morale et d’une loi supérieures. Malheureusement, à la suite des apôtres de paix et de charité qui avaient su éveiller tant de généreux instincts dans les esprits et dans les cœurs, se présentèrent des prêtres avides et turbulens, venant prendre possession des riches évêchés au nom de bulles datées de Rome, s’efforçant de faire entrer la société japonaise dans les liens dont Loyola prétendait enserrer le monde. Qu’y a-t-il d’étonnant dès lors à ce qu’une terrible réaction se soit produite au Japon ? Ce pauvre peuple se voyait trompé dans sa bonne foi et dans ses espérances ; la piété, la charité, la vertu, toutes les promesses du ciel pouvaient ne plus lui sembler que des fourberies au moyen desquelles des étrangers ambitieux et hautains venaient s’arroger les profits de sa terre. Il exerça des représailles dans lesquelles périt un million d’hommes. Le Papenberg, d’où fut précipitée une partie des victimes, premier sommet qui se présente aux bâtimens abordant l’archipel par le sud, rappelle le souvenir de cette terrible histoire.

Dès lors le Japon s’est comme replié sur lui-même, se suffisant, n’empruntant et n’échangeant avec personne les élémens de sa vie et de son bien-être. Il a poursuivi ses destinées, en dehors de toute action étrangère, sans que l’énergie et la prospérité de ses habitans semblent avoir souffert de cet isolement. S’il paraît aujourd’hui faire un pas vers une voie nouvelle, ce n’est pas qu’il ait secoué sa défiance deux fois séculaire ; il ne fait que céder difficilement, et de mauvaise grâce, à la pression des forces américaines, anglaises, russes, françaises, et l’on va voir qu’il n’est pas du tout certain encore que le grand mouvement qui rapproche et mêle aujourd’hui tant d’hommes de races et de mœurs diverses réussisse à l’entraîner hors de ce petit coin du Pacifique où il s’obstine à vivre seul. Cependant, depuis que les vaisseaux européens ont fait tonner leur artillerie jusque dans la rade même de la capitale du Japon, tous les esprits se sont mis en éveil ; curieux et marchands ont conçu d’égales espérances, ceux-ci de s’ouvrir des débouchés nouveaux et de faire de larges profits, ceux-là de récolter une ample moisson d’observations scientifiques et de notions intéressantes. Des relations de