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de plaisance pour prendre le thé ou faire un repas. Quelques membres de l’expédition de lord Elgin visitèrent ces maisons et se firent servir, dans l’une d’elles, un dîner sur lequel M. Oliphant donne d’assez curieux détails. « Le dîner est servi par terre, dans des bols de laque, et occupe une grande partie de la chambre. Il a été promptement et adroitement arrangé par des jeunes filles proprement vêtues, qui s’assoient à l’entour et nous invitent à en faire autant. Il y a longtemps que nous avons ôté nos souliers (les Japonais ont l’usage de les laisser à la porte d’entrée), et maintenant nous nous accroupissons en rond sur le plancher, et nous regardons avec une curiosité mêlée d’effroi le repas étalé devant nous. Voilà du poisson cru en boulettes minces, du gingembre salé ; voici des crevettes, des œufs conservés, des sangsues de rocher, des grillades provenant d’un animal inconnu qu’on mange avec de la sauce, et des ignames et des poires, et diverses espèces de fruits et de légumes arrangés parfois d’une manière assez appétissante ; mais l’expérience est hasardeuse, et nous sommes soulagés en voyant un plat de riz comme pièce de résistance. » Survient ensuite une autre troupe de jeunes filles avec des luths et des tambourins ; mais il paraît que les oreilles européennes ne sont pas faites pour goûter la musique japonaise : M. Oliphant ne semble pas la trouver supérieure à la musique chinoise. La boisson consiste, outre le thé, en une liqueur faite avec le riz fermenté que l’on appelle saki ; elle est agréable, et la couleur rappelle celle du vin de Xérès. On la boit froide et chaude ; en ce dernier état, elle porte assez promptement à la tête.

C’est au bazar russe, sorte de vaste caravansérail situé dans la ville même et bien approvisionné de toute sorte de marchandises, que sont installés les fonctionnaires chargés de régler le paiement des objets achetés par les étrangers. Il ne faut pas croire qu’il suffise dans les villes japonaises, comme chez nous, de donner aux marchands le prix convenu en échange des objets qu’ils fournissent ; un ordre supérieur leur interdit d’accepter des espèces étrangères, et nul n’oserait y contrevenir. Lorsque l’acheteur a choisi un objet, le marchand lui tend un carré de papier et un pinceau très fin imbibé d’encre ; l’acheteur écrit son nom et le prix, puis il prononce son nom au Japonais, qui reproduit dans sa langue ce que son oreille lui fournit de plus semblable aux sons étranges qu’il a entendus. à la fin de la journée, on se retrouve dans une espèce de bureau où tous les objets sont réunis, soigneusement étiquetés, avec l’indication du prix ; les employés font l’addition et prennent au poids l’argent étranger. La plus grosse monnaie d’or japonaise est l’obang, qui, de même que le talent dans l’antiquité grecque et latine, est de trop de prix et de poids pour avoir plus qu’une existence nominale ; chaque pièce est longue de six pouces, large de trois et demi, et ce