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Or, tandis qu’elle dort, trois bûcherons des bois,
Trois joyeux jouvenceaux, ayant vingt ans tous trois,
Passent dans le chemin. Le premier la regarde :
 — Voyez cette innocente, endormie à la garde
Des oisillons des bois !… Amis, je la connais,
C’est la fille du vieux vannier du Val-des-Frais.
Quand elle aura vingt ans, j’engage la fillette
À ne point sommeiller au coin du bois seulette !
Mais ce n’est qu’une enfant, un fruit vert aigrelet,
Une noisette encor tendre et pleine de lait.
Vive ma Louison, ma grappe mûre et fraîche !
 — Fruit vert ? dit le second, non pas, mais blonde pêche
Dont le duvet se dore et commence à rougir.
Vois ces lèvres qui sont vermeilles à plaisir,
Ces flots de cheveux bruns, et sous l’étroit corsage
Cette poitrine pleine et ferme. C’est dommage
Qu’elle n’ait pas autant d’argent que de beauté !
La maison du vannier craque de pauvreté. —
Le troisième, ébloui, la contemple et soupire,
Puis, songeur, il poursuit sa route sans rien dire ;
Mais, arrivés tous trois au détour du chemin,
Il demeure en arrière et disparaît soudain ;
À travers la forêt muette il prend sa course,
Et revient vers l’enfant qui dort près de la source.
Alors, agenouillé dans l’herbe du talus,
Doucement, chastement, il baise ses pieds nus ;
Il choisit une fraise au bord de la corbeille,
Et délicatement, sur la bouche vermeille
Et ronde, qui s’entr’ouvre et qui semble une fleur,
Il la pose. L’enfant, que la fraîche saveur
Réveille, ouvre les yeux, et tressaille, et s’effraie,
Comme un oiseau surpris dans son nid, sous la haie.
 — Pourquoi cette frayeur ? dit-il, que craignez-vous ?
Ne me voyez-vous pas timide à vos genoux ?
C’est moi qui dois trembler, car je n’ose pas même
Vous dire, ô belle enfant, combien mon cœur vous aime.
Je ne pense qu’à vous ; depuis trois jours entiers,
Je vous cherche, au village et dans tous les sentiers,
Comme la mouche à miel cherche les fleurs des saules… —
Elle se laisse prendre à ces douces paroles,
Et, la main dans la main, au fond du rocher creux,
Au bruit de l’eau qui chante, ils devisent tous deux,
Et les heures d’amour se succèdent, pareilles,