Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/551

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malsain. On venait de bâtir pour eux les Invalides. Ils n’en eurent pas besoin. Un aqueduc de deux cents pieds de haut, l’aqueduc de Maintenon, inachevé et inutile, fut le monument funéraire des pauvres soldats immolés ; mais rien n’exprima mieux cette terrible administration que la merveille de Marly, merveille en opposition violente avec le paysage, un démenti à la nature. L’aimable caractère de la Seine autour de Paris, C’est son indécision, son allure molle et paresseuse de libre voyageuse qui se soucie peu d’arriver. D’autant plus dur semblait son arrêt à Marly. Là la main tyrannique de Colbert, de Louvois, de par le roi, la faisait prisonnière d’état, condamnée aux travaux forcés. Nulles galères de Toulon, avec leur geindre de forçats, n’étaient si fatigantes à voir et à entendre que l’appareil terrible où la pauvre rivière était contrainte de monter. Barrée par une digue, dans sa chute forcée, elle devait tourner quatorze roues immenses de soixante-douze pieds de haut. Ces grossières roues de bois avec des frottemens étranges et des pertes de forces énormes, mettaient en jeu soixante-quatorze pompes, qui buvaient la rivière, la montaient et la dégorgeaient à cent cinquante pieds de hauteur. De ce réservoir à mi-côte, par soixante-dix-neuf autres pompes, l’eau montait encore à cent soixante-quatorze pieds. Est-ce tout ? Non, soixante-dix-huit pompes, par un dernier effort, la poussaient au haut d’une tour d’où un aqueduc de trente-six arcades, haut de soixante-neuf pieds, la menait enfin à Marly. Un appareil si compliqué, d’aspect énigmatique, qui couvrait la montagne sur une étendue de deux mille pieds, embarrassait l’esprit. Les grincemens, les sifflemens de ces rouages difficiles et souvent mal d’accord, c’était un sabbat, un supplice. L’ensemble, si on le saisissait, était celui d’un monstre, mais d’un monstre asthmatique qui n’aspire et respire qu’avec le plus cruel effort. Quel résultat ? — Petit, un simple amusement, une cascade médiocre.

Le roi, au moment de Fontanges, quand la paix le relança dans les amusemens, avait choisi ce lieu sans vue, obscur et dans les bois, pour s’y faire un libre ermitage, échapper à Versailles ; mais sa gloire l’y suivit. Il remplit tout de lui, et plus qu’à Versailles même. C’est l’avantage de ce lieu concentré. Marly n’est pas distrait, il ne voit que Marly. Le roi n’y voyait que le roi. Le pavillon central (ou du Soleil) présidait les petits pavillons des douze mois. Maussadement rangés, six à droite, six à gauche, ils avaient l’air d’une classe, d’écoliers qui, sous la main du maître, lorgnent de côté la férule et s’ennuient décemment. Dispensé d’étiquette, on n’en était pas moins contraint. Le roi exigeait que devant lui on fût couvert ; eût-on notai à la tête, il fallait garder son chapeau. Il ne plaisantait pas ; il voulait qu’on fût libre, qu’on s’amusât et qu’on jouât. Grâce à ces pavillons