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étaient cause, n’étant que des poupées, comme Monsieur et autres, avec des mœurs honteuses, ou des fats insolens et très cruellement indiscrets. Le mari n’était point, et l’amant, c’était l’ennemi. La méchanceté d’un Vardes ou d’un Lauzun, le plaisir qu’ils avaient à payer par le ridicule l’amour et l’abandon, devaient mettre les femmes en garde. De là une grande froideur. Mme de Sévigné n’eut d’amant que sa fille. Mme d’Aiguillon, la prudente nièce de Richelieu, n’eut de liaison forte qu’avec une dame qui laissa tout pour elle et lui sacrifia son mari. Marie de Médicis fut comme ensorcelée de la Galigaï, sa sœur de lait, et Marie-Thérèse d’une sœur bâtarde qui lui rendait tous les soins d’intérieur. Pour la même raison, les dames préféraient à tout la personne indispensable, leur femme de chambre. Au siècle suivant, celle-ci est souvent un homme de lettres, et ne diffère presque en rien de la demoiselle de compagnie la plus distinguée.

Mme de Maintenon avait une femme de chambre ancienne et très capable, Mlle Balbien, fille d’un architecte de Paris, qui l’avait servie dans sa pauvreté, et fut dans sa grandeur une sorte de factotum. Elle lui fit organiser tout le matériel de Saint-Cyr, acheter le mobilier et aménager tout. Pour le spirituel, elle comptait sur l’excellentesprit de la Maisonfort, qui s’y dévoua. Chaque jour, Mme de Maintenon y allait passer ses meilleures heures dans cette aimable société. Quand Mme Brinon partit, la Maisonfort l’eût remplacée comme supérieure ; mais elle demanda à ne faire jamais qu’obéir. Son cœur répugnait au manège, aux petites nécessités de dureté de police, qu’implique le gouvernement.

Du reste, elle donna à Mme de Maintenon le gage le plus sûr d’un abandon illimité : elle lui demanda un confesseur, signe extrême de confiance. Les religieuses faisaient tout le contraire ; rien ne les désolait plus que d’avoir un confesseur de leur abbesse. Elles savaient que le prêtre le plus discret, sans préciser le détail ni dire les choses par leur nom, peut fort bien faire entendre l’essentiel, le plus délicat. Quand elles pouvaient, elles se confessaient à un jésuite, à un moine qui passait et qui emportait leur secret. Mme de Maintenon lui donna son Godet-Desmarais, cette figure malpropre et décharnée, un homme de mérite, mais sec, dur, répulsif. Grande peine de se desserrer devant quelqu’un qui vous contracte ! La Maisonfort ne l’accepta pas moins comme l’homme de sa protectrice, voulant se donner toute, mettre son cœur dans la main de Mme de Maintenon.

Celle-ci avait de grandes vues sur Saint-Cyr. Dans un portrait gravé du temps et certainement autorisé, on lui donne ce titre : La marquise de Maintenon, supérieure de l’abbaye royale de Saint-Cyr. Elle fait de la main un geste de commandement, vif, dur, impérieux. C’était sa pensée d’avenir. Si elle fût devenue veuve de bonne heure,