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elle aurait sans nul doute aimé à être abbesse, à satisfaire dans la plénitude absolue son goût unique de gouvernement et de règlement, de surveillance minutieuse. Elle l’exerçait déjà sur les dames de Saint-Cyr, leur vie captive et remplie heure par heure, toute à jour, cachait peu leurs actes, d’autant plus qu’elle voulait atteindre leurs pensées, pénétrer leurs petits mystères, leurs innocens secrets. Or elle n’y arrivait pas tant qu’elle ne les avait pas amenées à la soumission absolue de la religieuse qui ne s’appartient plus, ne peut garder une pensée à elle, et doit tout dire, jusqu’au rêve oublié.

Beaucoup mollissaient tout de suite, se rendaient sans être assiégées, n’en valaient pas la peine ; mais une âme riche et vivante comme la Maisonfort, quelque soumise qu’elle voulût être, avait toujours en elle de libres élans de nature. Il y avait de quoi opprimer, toujours un infini à acquérir et conquérir. Devant cette amitié si exigeante qui toujours avançait, pénétrait, elle reculait timidement pour garder un peu d’intérieur. Ce travail la troublait. En trois ans, elle avait perdu la belle et sereine harmonie qui avait plu en 1686. Au contact des épines s’était dégagé d’elle ce qu’elle avait au fond, une grande susceptibilité de douleur.

Racine en fut frappé, comme on a vu, et elle aussi vit bien sa sensibilité : elle pencha un moment vers lui et vers son jansénisme, si austère, si persécuté ; mais à ce moment même Mme Guyon parut, enleva tout, la Maisonfort, Saint-Cyr, jusqu’à Mme de Maintenon. Le laisser-faire et le laisser-aller du quiétisme ; cet amoureux suicide, convenaient à merveille aux captives, si dépendantes, qui ne pouvaient rien faire pour leur propre sott. La Maisonfort ne voulait rien de plus que cette paix en Dieu. Elle n’avait jamais été mondaine. Si accomplie, et dans cette haute faveur, elle eût pu faire un bel établissement, mais n’y avait nullement songé. Elle avait trouvé son amour, et n’en voulait nul autre. Elle ne rêvait rien que son rêve de captivité volontaire. Ce fut Mme de Maintenon qui, poussant ses empiétemens, lui imposant le voile, la réveilla. De cette paix mystique qu’on eût crue une mort ressuscita la volonté.

Mme de Maintenon, arrêtée court, se montra fort habile. Elle tourna l’obstacle. Elle sentit qu’avec une telle nature, qui n’avait jamais résisté, mais qui était très libre au fond, il n’y avait de prise que le cœur. Godet-Desmarais, inspiré d’elle, se retira un peu. Il prétextait son évêché de Chartres, qui rendait plus rares ses visites à Saint-Cyr, conseilla à la Maisonfort de consulter Fénelon, le nouveau précepteur du duc de Bourgogne, nouvellement établi à Versailles : conseil fort hasardeux, et je dirais presque machiavélique, d’adresser une âme inflammable à cet homme jeune encore et de grande séduction. Véritable énigme vivante pour les contemporains, et sur