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laquelle nos modernes, Rousseau et autres, se trompent ridiculement, il faut l’expliquer par sa vie, qui ne fut jamais nette et simple, qui fut impénétrable à ses intimes même et les surprit toujours par des reviremens imprévus. Il avait enfin pris pied à la cour. Il le devait à sa mission de Saintonge, où il mérita l’appui des jésuites, du père La Chaise, du ministre Seignelay et de ses sœurs, les pieuses duchesses. Il n’est pas plus tolérant que Bossuet. Dans ses lettres à Seignelay, sans approuver les rigueurs irritantes, il demande main-forte pour fermer la frontière, retenir les protestans fugitifs. Dans le livre célèbre qu’il écrit en 1689 pour instruire son élève des principes du gouvernement, il ressasse la vieille et si fausse assimilation de la souveraineté et de la propriété, ne voyant point de différence entre le républicain et le voleur. En pleine cour, il vécut très caché. Ni Bossuet, ni les sulpiciens, n’avaient prévu son quiétisme. Les jésuites, Mme de Maintenon, qui le protégèrent ensuite, étaient loin de prévoir le Têlémaque. Même le petit troupeau mystique des ducs et des duchesses aurait-il deviné qu’entre l’éducation et la direction il écrivait Calypso, Eucharis, ces pages romanesques moins propres à contenir qu’à troubler un jeune cœur ?

Fénelon était-il un prêtre dur et sans pitié ? Était-il spécialement sans intérêt pour la victime qu’on lui demandait d’immoler ? N’avait-il du moins le scrupule de faire une mauvaise religieuse ? En réalité, il n’était pas libre, il n’était pas un homme, mais l’homme d’un parti. La lutte était très vive alors entre Louvois et Seignelay, le frère des trois duchesses, le ministre du parti dévot. Que fût-il arrivé si Mme de Maintenon leur eût retiré son appui ? Seignelay faisait alors le dernier effort pour la croisade catholique.

Effort trop impuissant. Un brillant combat de Tourville, une petite descente en Angleterre et l’incendie d’une bourgade rallièrent les Anglais au, roi Guillaume. La victoire fut encore cette année pour Louvois et le ministère de la guerre. Pressé et poussé par Louvois, Luxembourg vainquit à Fleurus. Seignelay mourut de chagrin dans les bras de Fénelon.

On avait trop compté sur les moyens humains. Il ne fallait qu’un coup de Dieu. Guillaume avait été blessé ; il pouvait l’être encore, frappé d’en haut. C’est cet espoir que manifesta Athalie dans l’hiver de 1691. Le parti des saints espérait, attendait le miracle, et Louvois tâchait de le faire ; il organisait une campagne étonnante, qui fut son chef-d’œuvre, ne repoussant nullement du reste les moyens plus directs que Saint-Germain cherchait dans quelque trahison d’Abner ou le couteau sacré de Samuel.

La sombre pièce d’Athalie fut jouée le 5 janvier 1691 à huis clos, devant les rois tout seuls, et, on peut le dire, pour le roi d’Angleterre. Elle répondait à merveille à l’irritation des deux cours de