pour les personnages qui attirent l’attention de la foule, je disais : C’est une Anglaise ! et je lui marquais sa place dans ce gracieux bataillon d’amazones qu’elle-même tout à l’heure rangeait si bien en ordre de bataille. En pensant à son respect de l’étude, je la prenais pour une Allemande ; mais les Allemandes sont plus attachées au foyer, et les plus savantes ne savent pas si bien le grec. Serait-ce une Grecque, une de ces femmes d’Orient dont Mme Dora d’Istria nous a tracé le portrait ? Arrive-t-elle des Iles-Ioniennes ? Est-ce une muse de Corfou ? Bien que Corfou ait cessé d’appartenir à Venise, depuis que Venise, hélas ! ne s’appartient plus à elle-même, il y a toujours des relations entre les Sept-Iles et la société de la péninsule. Ne sont-ce pas les Iles-Ioniennes qui ont donné à l’Italie un de ses poètes les plus aimés, un poète populaire encore aujourd’hui malgré toutes les palinodies de sa carrière, le fougueux auteur des Lettres de Jacopo Ortis ? Elpis Melena, qui a demandé son nom de guerre à la langue des Hellènes, est sans doute une de ces Corfiotes enthousiates qui appartiennent à la fois à l’Orient et à l’Occident, à la Grèce et à l’Italie, et qui, dans les circonstances présentes, ont tout naturellement les yeux tournés vers la métropole de leurs pères.
C’est ainsi que de conjecture en conjecture je m’imaginais avoir deviné juste, lorsque je fus averti enfin de mon erreur. Après avoir pris un plaisir d’enfant espiègle à dépister toutes les recherches, Elpis Melena déclare tout à coup qu’elle est Anglaise. Il ne reste donc plus qu’une question à se faire : pourquoi une fille de l’Angleterre écrit-elle en langue allemande les études qu’elle consacre à l’Italie ? À cette question Elpis Melena n’oublie pas non plus de répondre. C’est en 1853 qu’Elpis Melena conçut pour la première fois la pensée d’écrire la biographie de Garibaldi et de la faire connaître à l’Allemagne. Dans ses voyages à Vienne ou à Berlin, elle avait entendu bien des récits inexacts, bien des opinions exagérées ou fausses sur les hommes qui défendent la cause de l’indépendance italienne ; voyageuse cosmopolite, dès qu’elle sut la vérité sur Garibaldi, elle résolut de la dire aux Allemands, et peut-être Garibaldi lui-même, : au moment de combiner ses plans contre l’Autriche, n’était-il pas fâché d’avoir un interprète et un défenseur au sein de la confédération germanique. Tenons-nous-en à cette explication, et laissons de côté toutes les énigmes. Ce qui est certain ! et ce qu’il suffit de mettre en lumière, c’est qu’Elpis Melena est une femme d’esprit, savante, généreuse, enthousiaste, admiratrice passionnée de Garibaldi, et que, plus d’une fois admise dans l’intimité du général, elle a considéré comme un devoir de communiquer ses impressions au public des contrées du Nord. Un pareil témoignage mérite d’être entendu.