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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/613

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Bientôt une société américaine lui offre le commandement d’un navire de commerce, et le voilà qui reprend la mer, heureux de pouvoir donner le change à son activité inquiète. Il fait voile vers Nicaragua, vers la Nouvelle-Grenade, vers Panama ; mais une fièvre ardente, qui le met aux portes du tombeau, l’oblige à résigner sa mission. À peine guéri, il monte sur un paquebot anglais qui le conduit à Lima vers la fin de l’année 1851. Au mois de janvier 1852, il trouve une nouvelle occasion de s’embarquer : un négociant génois établi au Pérou lui confie un navire de transport sur lequel le hardi marin va d’Amérique en Australie, d’Australie à Canton, et de Canton à New-York. Au commencement de l’année 1854, de nouveaux engagemens conduisent Garibaldi en Angleterre ; il séjourne quelque temps à New-Castle et à Londres ; puis il regagne la Méditerranée et arrive à Gênes au mois de mai. Le gouvernement piémontais n’avait plus de raisons pour repousser l’homme en qui se personnifiaient encore tant d’espérances ; il valait mieux le gagner et se servir à l’occasion de son candide héroïsme. Garibaldi reçut l’autorisation de rentrer librement dans sa patrie. Il resta toute une année à Nice, enfermé dans la retraite la plus profonde et uniquement occupé de ses enfans. Enfin, cherchant une solitude plus profonde encore, cherchant aussi l’occasion de vivre au grand air et au soleil comme dans les steppes de l’Amérique du Sud, il acheta un morceau de terre inculte dans l’île à peu près déserte de Caprera, et s’y établit l’année suivante.

C’est là que nous a conduits Elpis Melena pendant l’automne de 1857 ; c’est là aussi que, dans l’été de 1858, la spirituelle voyageuse a recueilli de la bouche du généra ! une grande part de l’histoire que nous venons de résumer. Elpis Melena était décidément la confidente et l’amie du héros. Garibaldi avait fermé le projet de faire un voyage en Amérique, au printemps de 1859, avec ses enfans et son ami Bixio ; Elpis Melena avait demandé à se joindre à eux, et tout était réglé pour le départ. On sait quelles circonstances vinrent déranger tous ces plans. Au lieu d’aller trouver le général à Gênes ou à Marseille, elle le vit à Turin, où le roi Victor-Emmanuel l’avait fait appeler. Son visage rayonnait de joie et d’espérance ; sans le feu intérieur qui l’animait, sa santé, fort ébranlée alors, n’eût sans doute pas suffi à la tâche dont il était chargé. Il souffrait horriblement d’un rhumatisme aigu. « Le jour même de son départ, dit Elpis Melena, l’ayant accompagné à la gare du chemin de fer avec la marquise Pallavicini Trivulzio et quelques autres grandes dames transportées comme nous d’enthousiasme, je fus témoin de ses souffrances. Il éprouvait une si cuisante douleur au genou gauche qu’il fut obligé de s’étendre sur une banquette de la salle d’attente. » La guerre le