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grâce aussi aux capitaux de villes considérables répandues sur tout le territoire et aux voies de communication de bonne heure ouvertes par le commerce ; mais la Campine n’a eu aucun de ces avantages. Le commerce avec les pays voisins était impossible, on n’avait rien à leur envoyer. Le travail de fabrication se réduisait à quelques industries locales qui répondaient aux besoins très simples des habitans. De gros villages et quelques bourgs constituaient les centres de consommation les plus notables. Il régnait une sorte d’aisance rustique, mais les capitaux disponibles étaient extrêmement rares. La difficulté des relations avec le reste du pays était si grande que les denrées agricoles restaient à peu près au même prix qu’au moyen âge, et que jusque vers 1830 le seigle se vendait à 5 et 6 francs l’hectolitre dans des localités relativement importantes. Le problème de la mise en culture des landes a donc été résolu ici dans des conditions tout autres qu’en Flandre : c’est l’agriculture abandonnée à elle-même qui a tout fait.

Une preuve sans réplique de la difficulté d’une semblable conquête, ce sont les échecs répétés qu’ont essuyés tous ceux qui ont voulu la brusquer, et qui, se confiant dans la puissance du capital, ont prétendu mettre en rapport en peu de temps une grande étendue de bruyères. Au nord d’Anvers, entre les villages de Braschaet et de Wustwesel, les paysans vous montreront une terre en friche dont le nom de mauvais augure, Mishagen, rappelle l’insuccès éclatant d’un grand seigneur du siècle passé, le baron de Proli, commandant de l’Escaut au service de l’Autriche. Près de Kalmpthoudt, on vous parlera de la compagnie Follet, qui, après des dépenses considérables, fut obligée de revendre ses propriétés à un prix cinquante fois inférieur aux sommes avancées. On vous citera un exemple plus mémorable encore, celui de la société de bienfaisance fondée en 1818 avec le concours du gouvernement hollandais. Elle acheta 1,000 hectares dans les communes de Wortel, Merxplas et Ryckevorsel, et après avoir dépensé en quatorze ans plus de 5 millions de francs, elle ne parvint à conquérir à la culture, d’une manière définitive, que 125 hectares. Cette société avait voulu créer de grandes fermes peuplées avec le personnel des dépôts de mendicité. En 1847, sous les auspices du gouvernement belge, une nouvelle tentative de colonisation fut faite, cette fois au moyen de petites fermes de 5 hectares, dont 1 hectare déjà fumé et emblavé, 1 hectare de prairie irriguée, et 3 hectares de bruyères. Ces petites fermes, situées dans la commune de Lommel, étaient louées à des familles de cultivateurs pour un terme de trente ans, avec des conditions si favorables, qu’en payant un léger amortissement, les fermiers demeuraient propriétaires à l’expiration du bail. Ces combinaisons semblaient parfaites,