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triste et de sévère qui indique un état de guerre permanent contre l’aridité du sol et contre l’âpreté des élémens. Les villages cependant n’ont rien de l’aspect un peu sombre des fermes. Avec leurs maisons bien entretenues, leur vaste place ombragée de noyers ou de tilleuls, leur haute église, et d’ordinaire avec quelques jardins qui embellissent leurs approches, ils ne sont inférieurs sous aucun rapport à ceux des Flandres. Comme la population est moins dense, il y a moins de pauvres, et, quoique la richesse soit moindre, il règne ici autant d’aisance, parce que les denrées sont à bas prix. Les salaires sont peu élevés, 95 centimes ou 1 franc par jour, et néanmoins l’ouvrier a moins de privations à subir, parce que la lande communale lui permet d’entretenir des chèvres ou même une vache. Les produits agricoles sont d’excellente qualité, la vie matérielle ne laisse rien à désirer, et le voyageur trouve partout, jusque dans le plus petit village, bon accueil et relativement bon gîte, bonne chère et lit propre. L’auteur d’une récente étude agronomique sur la Campine[1] compare avec raison cette contrée à ces pauvres souvent cités, qui, vieux et décharnés, inspirent la pitié, quoiqu’à leur mort on trouve leur lit garni de sacs d’écus. La lande porte la livrée de la misère et du dénûment ; mais les champs cultivés sont riches, et le bien-être est réel : « triste enseigne, mais en fin de compte meilleur logis qu’on ne le prévoit. » Les populations de la Campine sont simples, laborieuses, et, comme toutes celles qui vivent isolées, extrêmement attachées à leurs anciens usages et à leurs vieilles traditions. Adonnées avec passion à tous les travaux de la campagne, elles se plaisent dans leur lutte avec la nature qui les entoure et dans leurs conquêtes sur la bruyère. Sous un extérieur patient et doux, elles cachent un cœur fier et indépendant, et plus d’une fois, jusqu’en des temps assez rapprochés de nous, elles ont donné des preuves de leur résolution et de leur valeur. C’est ainsi que pendant la révolution brabançonne les habitans de Turnhout et des environs défirent une division autrichienne qui venait soumettre le pays, et que lors de l’invasion des armées françaises, ces Vendéens de la Belgique, soulevés à la voix de leurs prêtres, organisèrent la guerre des paysans, et se battirent en désespérés contre les bataillons républicains.

Mais pour bien connaître le paysan campinois, pour se renfermer aussi dans le sujet de ces études, c’est la lutte de l’homme contre la nature qu’il faut observer. Comme le cultivateur ici n’a pas à

  1. M. P. Joigneaux, ancien membre des assemblées de France, qui par ses écrits et ses exemples a rendu à la province du Luxembourg, où il s’est fixé, des services sérieux, que les agriculteurs de ce pays viennent de reconnaître par un témoignage public de leur gratitude.