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de Monroë contre cet acte si simple et si simplement accompli, hautement comparé aux attentats de Walker contre le Nicaragua et de Lopez contre Cuba ! L’Espagne n’a-t-elle pas été dûment avertie de s’arrêter à ce premier pas, qui semble la ramener vers l’Amérique du Sud, sous peine de rappeler à la concorde et de coaliser contre elle les deux fractions aujourd’hui divisées de l’Union américaine ? Quant aux appréciations de la partie qui se croit le plus directement intéressée dans la question, c’est-à-dire de l’ancienne colonie française devenue république haïtienne, elles ne pouvaient certes moins faire que de se tenir à cette hauteur. Les plus vieilles dynasties de l’Europe succombant sous les coups de l’usurpation n’emploient pas une phraséologie plus solennelle et plus véhémente pour réserver leurs droits devant Dieu et devant les hommes que ne le fait le président Geffrard en cette circonstance. Après avoir exposé à sa manière l’annexion de la partie espagnole à la république haïtienne sous le gouvernement de Boyer et la scission de 1844 « qui n’a jamais été au fond qu’une querelle sur la forme du gouvernement, » la chancellerie de Port-au-Prince pose la question de la souveraineté du but avec une assurance qui révèle au moins une certaine étude de l’histoire contemporaine. Pour elle, « nul ne saurait contester qu’Haïti n’ait un intérêt majeur à ce qu’aucune puissance étrangère ne s’établisse dans la partie de l’est. Du moment que deux peuples habitent une même île, leurs destinées par rapport aux tentatives de l’étranger sont solidaires. L’existence politique de l’un est intimement liée à celle de l’autre, et ils sont tenus de se garantir l’un à l’autre leur mutuelle sûreté… » À cette déclaration de principes se joint une sorte de déclaration d’hostilités, car le gouvernement haïtien proclame que cette annexion, « trahison envers la patrie, œuvre du général Santana et de ses conseillers, rompt par le fait la trêve de cinq ans par laquelle la république de l’ouest venait de se lier à l’égard de celle de l’est, que le gouvernement haïtien se trouve affranchi par là de tout engagement et recouvre son ancienne liberté d’action, se réservant l’emploi de tous les moyens qui, suivant les circonstances, pourront être propres à sauvegarder et à garantir son plus précieux intérêt… » Cette protestation, qui conserve une certaine dignité dans son exagération, est accompagnée d’une adresse aux habitans de l’est conçue dans le langage le plus violent, et renfermant les imputations les plus injurieuses contre le président Pedro Santana, qui a dirigé ses compatriotes dans leur mouvement de retour vers l’ancienne métropole.

Une étude constamment suivie des faits qui se sont produits depuis ces dix-huit dernières années, tant à Saint-Domingue que dans les états du golfe, comme on dit de plus en plus depuis la scission