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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/668

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des colonies françaises. Il faut enfin que l’Espagne comprenne que l’esclavage ne saurait éternellement durer à Cuba et à Porto-Rico, et qu’éclairée par l’exemple menaçant des États-Unis, elle se dise qu’un ajournement systématique est la pire de toutes les tactiques en cette redoutable matière. Mais puisque ce grand intérêt d’humanité tient avec juste raison sa place dans la politique générale de l’Europe, le meilleur moyen d’amener l’Espagne à composition quant à l’esclavage ne serait-il pas de lui montrer la perspective qui peut s’ouvrir pour elle comme puissance anti-esclavagiste ? On en a chaque jour la preuve, tout se fait par transaction dans les hautes sphères de la politique. Certes, ce serait une bien belle et bien avouable transaction que celle qui laisserait les coudées franches à l’expansion coloniale de l’Espagne, moyennant l’adoption par elle de sérieuses mesures abolitionistes. En acceptant la réincorporation de l’ancienne colonie de Saint-Domingue, le cabinet de Madrid n’a-t-il pas été amené à déclarer que l’esclavage, qui a cessé d’y exister à peu près en même temps que dans la partie occidentale, n’y serait jamais rétabli ? Tout acte engage, et celui-ci est un acte implicite d’abolitionisme. Ils en ont eu le sentiment instinctif, les hommes d’état d’un cabinet européen qui, dans un document gouvernemental, n’ont pas reculé devant cette malheureuse alliance de mots qui qualifie l’esclavage « une plaie indispensable… » L’expérience nous l’a en effet révélé dans cette triste question : ces exagérations de langage sont les indices révélateurs d’une foi qui chancelle. C’est depuis la formation d’un puissant parti abolitioniste dans les états du nord de l’Union américaine que l’esclavage est devenu « l’institution patriarcale » pour les états du sud : il n’était auparavant que « l’institution particulière… » Gardons-nous d’en douter : il y a une opinion abolitioniste dans la Péninsule, il y en a même une à Cuba ; on en a comme la preuve vivante dans les quarante mille travailleurs libres introduits dans cette colonie durant ces dernières années.

L’Espagne est donc dans la voie beaucoup plus qu’on ne pourrait le supposer à première vue. Qu’on la laisse marcher sous l’impulsion de son intérêt, sous la pression bienfaisante des idées libérales, et nul ne peut dire quel glorieux rôle peut lui être rendu de l’autre côté des mers.

Le vieil esprit anglais, celui qui cherche aujourd’hui à faire échec au percement de l’isthme de Suez, se montrera sans doute hostile à ce mouvement ; mais cet antagonisme étroit faiblira au moment voulu devant l’idée de l’abolition de l’esclavage, qui tient une si grande et si belle place dans la politique générale de l’Angleterre. Pour la France, il n’y a point sans doute de témérité à soutenir qu’elle n’aura que sympathie pour ces aspirations nouvelles. Elle restera ainsi fidèle à la politique même qu’elle a fait triompher en