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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/671

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est temps encore, un but qui s’éloigne tous les jours davantage. Ce but, c’est de relever l’art, c’est de combattre une confusion vraiment démocratique, qui n’est que le triomphe de la médiocrité, c’est d’assurer au talent sa place, des encouragemens non sollicités, l’indépendance pour le travail du lendemain. Tant qu’il n’y aura pas un concours, c’est-à-dire une comparaison rigoureuse, l’exposition ne sera qu’un marché où régnera le hasard, dieu du commerce. Sous aucun régime, l’administration n’a pu résister à la faveur, ni la presse à l’esprit de camaraderie. Quant au public, il n’aime aujourd’hui que ceux qui l’amusent, il répète les noms que les journaux lui enseignent, et paraît moins décerner la gloire que la subir. Dans une société aussi compliquée que la nôtre, la loi la plus juste, la plus humaine, malgré ses apparences, c’est que la liberté ne serve qu’à constituer l’aristocratie du talent. Or le concours est-il autre chose qu’une comparaison, sans cesse renouvelée, qui aide le talent à surgir ?

S’il est une branche de l’art qui soit surtout exposée à cette indifférence regrettable, c’est la sculpture. Chaque époque a ses préférences. La nôtre aime avec passion la musique, elle goûte assez vivement la peinture ; mais la sculpture ne lui plaît guère. Les tendances positives de notre société, le développement de l’industrie, le besoin du plaisir facile, la mode des réductions qui nous accoutument à tout voir en petit, le succès même qu’obtient une certaine école voluptueuse, dont Pradier a été le représentant le plus aimable, tout contribue à éloigner la foule d’un art abstrait, difficile à comprendre, idéal par excellence. Nous achetons beaucoup de statuettes, mais nous passons froidement devant les statues. Les œuvres d’un caractère élevé obtiennent-elles même un regard ? Le gouvernement, qui suit nécessairement l’opinion, n’a pas combattu le dédain dont la grande sculpture est l’objet, et, quand il a voulu décorer le nouveau Louvre, il a sans distinction appelé tous ceux qui pouvaient manier un ciseau : nous voyons les résultats de cette étrange impartialité. Le concours serait un remède qui ne changerait pas le goût de la foule, mais qui empêcherait qu’il n’exerçât sur l’art une action dangereuse. Dans les expositions surtout, l’Académie des Beaux-Arts, constituée en jury, rehausserait singulièrement l’importance de la sculpture, si ses décisions étaient suivies d’effet, si l’acquisition des œuvres qu’elle signale devenait un droit. Quand la sculpture déchoit dans un pays, les autres arts s’abaissent. Ce n’était pas sans raison que David, un peintre, lui subordonnait la peinture.

Il est vrai que la foule a ses engouemens comme elle a ses dédains. Les engouemens passent vite, et la critique n’a pas toujours besoin de combattre des erreurs dont le temps fait prompte justice. Par malheur l’indifférence va croissant. C’est contre l’indifférence