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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/672

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qu’il faut lutter surtout, et ici commence pour les critiques un devoir qu’il est doux de remplir, et qui demande plutôt de la réflexion que du courage, car ce n’est pas braver la foule que de lui signaler, pour qu’elle en jouisse, de belles choses qu’elle méconnaît : ce serait la tromper que de lui vanter, sans une conviction sagement mûrie, des choses qui ne mériteraient pas le nom de belles. Je n’éprouverai donc aucun embarras à louer un sculpteur qui n’occupe pas encore dans l’opinion la place qui lui appartient. Si, à propos de ce sculpteur, je reviens à la question générale des concours, que l’on ne croie pas que j’aie besoin d’un prétexte ; il me fournit à lui seul tout un sujet que j’ai à cœur de traiter avec quelque développement. Seulement ce sujet s’encadre si bien dans la thèse que je soutiens, qu’il prend, à mes yeux du moins, l’importance d’une démonstration. Je ne crains pas de dire sans détour à ceux qui m’auront lu : « Vous êtes avertis, regardez et jugez. » Je suis heureux en même temps de trouver un fait qui confirme merveilleusement les critiques qui s’adressent aux expositions et justifie le principe qu’il serait utile d’y introduire. Aucun exemple ne montre d’une manière plus sensible que nos expositions sont bien peu efficaces quand le concours ne les féconde pas, et qu’elles n’empêchent pas toujours le public d’être aveugle devant des œuvres que les connaisseurs classent parmi les productions contemporaines de l’ordre le plus élevé. Je m’attends à ce que beaucoup de personnes (sans cela une telle étude n’aurait plus d’objet) n’aient point retenu le nom de M. Perraud, bien qu’il figure depuis sept ans sur les livrets d’exposition. Pourtant ce nom est celui d’un homme que les anciens pensionnaires de l’école de Rome comptent avec orgueil parmi leurs futures gloires ; il est bien connu des membres de l’Académie des Beaux-Arts, qui, non contens de décerner à M. Perraud des distinctions répétées, l’ont inscrit d’office sur leur liste de candidats, le déclarant par-là digne de devenir leur collègue. Le contraste même entre l’attitude du public et celle de juges si compétens m’invite à exposer les titres d’un artiste qui n’a encore rencontré ni l’attention, ni les encouragemens que son pays lui doit. N’aurais-je pas satisfait à un intérêt général, si je réussissais à montrer que, par une large application du principe des concours, on éviterait d’aussi tristes erreurs ?


En 1847, le sujet proposé pour le grand prix de Rome était emprunté à Fénelon. Les concurrens devaient représenter en bas-relief Télémaque rapportant à Phalante les cendres d’Hippias. Le prix fut donné à une œuvre qu’admirèrent d’abord les juges du concours, puis le public choisi qui visite le palais des Beaux-Arts. Le succès qu’elle obtint n’est point encore oublié ; elle est restée dans l’école comme une œuvre classique devant laquelle les jeunes