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et elle doit passer son temps non pas, comme c’est l’ordinaire, à rechercher les occasions de faire des affaires pour donner de beaux dividendes, mais à se défendre contre les sollicitations qui lui viennent de toutes parts. Aussi la voyons-nous, à la première émotion qui se manifeste dans le monde commercial, à la moindre atteinte portée à sa réserve métallique, restreindre toutes ses opérations.

Cette réserve métallique est devenue le point de mire de tous ceux qui s’occupent du commerce des métaux d’échange tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ; elle est le côté sans cesse vulnérable de notre prospérité financière, car il est permis de dire sans exagération qu’exposée sans cesse aux coups, elle est constamment à la merci de quatre ou cinq mains puissantes et des spéculateurs d’argent[1]. Cette réserve métallique, qui est l’origine de toutes nos alarmes, joue dans notre économie générale un rôle d’autant plus redoutable que rien ne peut la défendre contre les atteintes qui lui sont portées. Et cependant son influence n’est pas légitime, le rôle même qu’elle remplit est faux. Si le gouvernement constituait demain une réserve de grains qui devint, par ses variations, le régulateur du prix du blé, comme la réserve métallique de la Banque est le régulateur du prix du numéraire, croit-on que la spéculation ne pourrait pas à chaque instant faire artificiellement varier la taxe du pain ? Et si l’on accorde que ce privilège d’un magasinage qui ne représenterait en réalité qu’une minime partie des céréales contenues dans les greniers particuliers serait un véritable danger public, pourquoi ne remarque-t-on pas qu’au point de vue du numéraire ce danger est permanent avec la constitution de la Banque de France[2] ? N’a-t-on pas vu en effet, il y a trois ans, par suite de la diminution de cette réserve fatidique, l’escompte de la Banque s’élever au taux inconnu de 10 pour 100 et retomber trois mois après à 3 pour 100 ? Il n’y avait donc pas de vérité dans la panique qui avait provoqué une si extraordinaire manifestation de crainte, mais elle a révélé les dangers que présente la centralisation du crédit. C’était sous l’émotion d’une crise parisienne

  1. ) « Je ne conçois clairement dans les opérations de la Banque que l’escompte, et j’attribue la dernière crise de cet établissement, la plus forte qu’on ait éprouvée depuis Law, à ce que l’escompte a été mal fait. Un même banquier a eu la faculté de se faire escompter jusqu’à 7 ou 8 millions, tandis qu’aucune maison ne devrait avoir un crédit plus fort que 900,000 francs ou 1 million. On devrait surtout s’interdire l’escompte des billets de circulation… » (L’empereur Napoléon Ier au conseil d’état, séance du 27 mars 1806, discussion du projet de loi sur la Banque de France).
  2. D’après les statistiques officielles, le mouvement des exportations et des importations d’or depuis dix ans se solde en faveur de la France par un accroissement final de un milliard sept cent quarante et un millions en or. Les perturbations causées par la diminution apparente de nos métaux d’échange ne sont donc pas justifiées ; mais comme la puissance du numéraire n’a pas de contre-poids dans une organisation de crédit assez large pour lutter avec lui, il fait la loi au travail et met tout sous sa dépendance.