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sont inspirés par sa position, il faut bien dire que les services que rend la Banque ne sont plus en rapport avec le privilège qu’elle possède et la mission qui lui est dévolue. Cette mission redoutable, cette mission politique que remplit la Banque de France est aux affaires nationales ce que sont la conduite et l’action du gouvernement lui-même ; mais, si la conduite et l’action du gouvernement à l’extérieur inquiètent ou rassurent le pays, du moins son administration intérieure, son administration départementale et communale, qui lui donne la sécurité de l’ordre et l’application des lois, n’est jamais troublée. Serait-il téméraire de conclure du spectacle offert par le fonctionnement régulier de notre administration intérieure que, si on procédait par des moyens semblables dans l’ordre économique, on aurait réalisé un très grand et très heureux progrès ? Et si on m’accorde que la concentration en un seul établissement de tous nos moyens de crédit est préjudiciable au bien général et doit être regardée comme une des principales causes des perturbations financières, ne pourrais-je pas ajouter que le pays trouverait dans une organisation de crédit intérieure, si je peux m’exprimer ainsi, la certitude que le paisible et régulier mouvement de sa fortune et de son activité ne subira pas constamment les secousses auxquelles l’exposent les destinées internationales d’une institution unique forcée de distribuer ses ressources à une infinité de besoins publics ?

Le seul avantage que l’on fasse valoir en faveur de la Banque de France, avantage que nous achetons vraiment trop cher, c’est l’unité, l’uniformité du signe monétaire. Ce bienfait serait-il détruit si on organisait d’autres banques ? A-t-on déjà oublié qu’il y avait avant 1848 neuf banques indépendantes qui émettaient des billets et jouissaient d’un immense crédit[1] ? L’initiative d’une pareille réforme ne semble pas malheureusement pouvoir partir de ceux mêmes qui seraient en position de la provoquer, et quant au public, son influence né se fait pas assez sentir jusqu’à présent dans la question. Nous avons en France la plus grande répugnance à toucher à ce qui

  1. Voici quelles étaient ces banques : nous indiquons aussi le chiffre de leur capital et celui de la valeur de leurs actions en 1846 :
    Noms des banques Capital Dividende et réserve de l’année Intérêts sur le capital primitif Cours des actions
    Bordeaux 3,150,000 fr. 132 fr. 13 fr 20 c. pour 100 2,360
    Rouen 3,000,000 120 fr. 33 12 fr. 03 2,585
    Nantes 3,000,000, 82 fr.86 8 fr. 28 1,730
    Lyon 2,000,000 244 fr. 24 fr. 40 3,690
    Marseille 4,000,000 120 fr. 12 fr. 1,925
    Le Havre 4,000,000 63 fr.56 6 fr.35 1,310
    Lille 2,000,000 87 fr. 8 fr. 70 1,800
    Toulouse 1,200,000 59 fr. 10 fr. «
    Orléans 1,000,000 100 fr. 01 10 fr. 1,810