Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/715

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de Xucar, dont l’un arrose la splendide huerta de Valence, tandis que l’autre parcourt et fertilise le royaume de Murcie.

Il faut se rappeler la disposition de ce sol tourmenté et découpé en régions si différentes pour avoir une idée exacte de l’un des théâtres les plus riches et les plus difficiles offerts au génie industriel. Vaincre des difficultés si multipliées, ouvrir des communications rapides et sûres entre des contrées séparées autrefois par les rivalités politiques autant que par les obstacles naturels, faire de Madrid, la vieille capitale créée par Charles-Quint, le centre nouveau de tous les intérêts matériels du pays, rattacher enfin ce pays transformé à la France et à l’Europe en abaissant en quelque sorte les Pyrénées, c’était là une œuvre propre à l’esprit de notre temps, œuvre que les chemins de fer seuls pouvaient accomplir, et qui est à demi réalisée déjà, non toutefois sans avoir eu à surmonter tantôt des passions politiques, tantôt des préjugés locaux, souvent des habitudes invétérées d’inertie et d’ajournement. Retracer rapidement ces luttes, montrer comment l’ensemble des voies ferrées espagnoles est arrivé peu à peu à se dessiner en préparant la transformation matérielle de la Péninsule par tout un système nouveau de communications intérieures, n’est-ce pas comme un préliminaire naturel de cette question si vivement débattue de la traversée des Pyrénées, qui complète toutes les autres au point de vue des relations de l’Espagne avec le reste du continent européen ?

Lorsque la Péninsule se mettait à l’œuvre il y a quinze ans à peu près, elle commençait, comme bien d’autres pays l’ont fait, par une petite ligne, le chemin d’Aranjuez, qui était pour ainsi dire un objet de luxe ou plutôt un essai. Ce n’était rien encore : il fallait à l’Espagne un véritable réseau partant de Madrid et se dirigeant dans tous les sens. Ce grand ensemble de voies de communication est en partie créé. Carthagène, Alicante et Valence notamment sont aujourd’hui réunies à Madrid ; mais que de luttes et de jalousies lorsqu’il s’agit à l’origine de fixer le point où une ligne unique toucherait à la Méditerranée ! On concéda d’abord la ligne de la Méditerranée jusqu’à Aranjuez, nous l’avons dit, puis jusqu’à Albacete, enfin jusqu’à Alicante, et ce n’est qu’en juin 1858 qu’une ligne de moins de 500 kilomètres, commencée en 1846, était définitivement livrée à un public avide.

Veut-on observer ce qu’ont été ces luttes sur un autre point de l’Espagne, en Andalousie ? Cadix, comme port commercial et militaire, est sans doute une des meilleures positions du littoral espagnol. Situé sur l’Océan, à l’entrée de la Méditerranée, dans l’une des plus belles rades du monde, Cadix est le centre des relations commerciales soit avec l’Afrique, qui est en face, soit avec l’Amérique du Sud. Malgré ces avantages, ce n’est guère qu’en novembre 1860