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il y aurait simplement sacrifice de droits réels au bénéfice d’un monopole, sacrifice qui compromettrait singulièrement de graves intérêts.

Il est bien évident que toutes les fois qu’il existera une situation dans laquelle les circonstances mettront en présence des élémens opposés, il y aura lutte ; cette lutte peut devenir funeste au pays. Seul, l’état, en usant habilement de son initiative, peut rétablir l’équilibre. C’est même le moyen le plus sage que lui donnent les lois pour intervenir avec fruit dans l’industrie. Que reste-t-il à livrer aujourd’hui en fait de chemins espagnols ? L’industrie vient de s’emparer des lignes de Palencia à Ponferrada, de Médina à Zamora, de Grenade, de Tarragone à Valence ; celle de Séville à Merida va trouver un constructeur naturel dans la compagnie du chemin de fer de Cordoue à Séville. Il est difficile d’apercevoir en quoi le réseau espagnol pourrait souffrir désormais de la concession du chemin de fer des Alduides. Cette dernière entreprise n’a pas toujours été opportune sans doute ; mais dès l’origine on en sentait si bien l’importance qu’on se bornait à demander un ajournement.

Ce n’est pas, sous un autre rapport, l’avenir politique qui doit préoccuper, car l’Espagne, placée dans un coin de l’Europe, voit passer les événemens devant elle sans avoir à s’y mêler, et tous les jours disparaissent les élémens de luttes intérieures. Les Espagnols sont fiers à juste titre des résultats qu’ils obtiennent depuis quelques années ; il n’y a donc pas lieu de douter de la confiance qu’ils peuvent inspirer et de l’avenir qui leur est réservé. La traversée des Pyrénées par les Alduides serait-elle de nature à mettre en péril quelques-uns des intérêts généraux du pays ? Comment pourrait-elle nuire à ces intérêts ? Serait-ce par hasard, comme on l’a dit, en compromettant la défense nationale ? Ce fut cet argument qui passionna jadis les débats. Il n’est pas facile au premier abord de saisir la relation du chemin de fer des Alduides avec la défense nationale de l’Espagne. Énoncer le fait que des craintes à ce sujet aient été soulevées au-delà des Pyrénées ressemblera une mystification. Néanmoins lorsque certaines susceptibilités sont éveillées, il faut les respecter et tâcher de les détruire. Puisqu’il s’agit de guerre, il n’est pas sans intérêt de voir ce qui s’est passé dans la dernière campagne d’Italie : les chemins de fer ont sans contredit été d’un grand secours ; mais dès que l’armée s’est trouvée engagée, les chemins lombards lui ont été inutiles, tandis qu’ils aidaient à la défense, et c’est encore là un des avantages des voies ferrées : elles servent beaucoup plus à la défense qu’à l’attaque. Cependant cet argument mis en jeu contre le chemin des Alduides produisit en Espagne, il y a deux ans, une véritable manifestation nationale qui couvrit le projet d’impopularité ;