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anglais du commencement du XVIIe siècle, la Gagliarde, air de danse de John Bull, autre musicien anglais de la même époque. Surtout j’ai été ravi de la fugue de Frescobaldi, organiste italien du XVIIe siècle et de la belle école romaine, dont il a le style noble, clair et déjà fort développé. Puis on a fait entendre deux pièces charmantes de Couperin, dit le grand claveciniste de la chambre de Louis XIV, intitulées la Superbe et le Carillon de Cyltère, badinage plein de grâce naïve et de joyeuseté gauloise. La Muselle et le Rigodon de Rameau, piquantes imaginations, formaient une transition bien ménagée entre Couperin et la fugue du grand Sébastien Bach, qui ouvre l’entrée de l’art moderne, dont il élabore les élémens. Le morceau de Kirnberger, qu’on a fait répéter, compositeur et théoricien célèbre qui appartient au cycle de Bach, la fugue de Porpora, celle de Wernicke, qui passe pour avoir été élève de Kirnberger, le menuet de Lindemann, élève de Wernicke, ont précédé les variations sur la marche des Deux Journées de Cherubini par Hummel, le plus grand compositeur de musique de piano qui existe après les trois génies de la musique instrumentale, Haydn, Mozart et Beethoven. Ces variations, peu connues, sont un chef-d’œuvre de grâce et de science, dit fort sensément M. Farrenc dans le petit livret qui servait de programme. Mlle Mongin, qui était la seule interprète de ces dix-huit morceaux, a fait preuve d’un talent souple, élégant et divers, surtout dans les pièces de Couperin, de Rameau, de Scarlatti et de Bach, qui exigent un style lié, dont on a presque perdu la tradition.

Nous n’avons pas aperçu à la belle séance de M. Farrenc un artiste d’élite, le maître de piano le plus instruit et le plus capable qu’il y ait à Paris, M. Valentin Alkan, primo genito. Que fait-il donc, et pourquoi se dérobe-t-il ainsi obstinément aux yeux du monde ? Qui pouvait mieux apprécier que M. Alkan ces formes diverses de la musique de piano, dont il connaît si bien l’histoire, et juger avec plus de sûreté la propriété de style de l’habile, et charmante interprète, Mlle Mongin ? Vœ soli ! dit l’Évangile, et cela est surtout vrai de l’artiste, qui a besoin de communiquer incessamment avec ceux qu’il veut instruire et charmer. C’est à des hommes comme M. Alkan, à tous les artistes dignes de ce nom et aux vrais amateurs que je recommande la publication intéressante de M. Farrenc, le Trésor des pianistes. Ce sera un livre de bibliothèque qui renfermera la quintessence de tout ce qui a été écrit pour le piano depuis deux cents ans.

Un autre concert qu’on peut à bon droit appeler historique, c’est la séance annuelle de musique classique fondée par M. de Beaulieu. Elle a réuni le 23 avril dans la salle de M. Herz un public curieux et empressé. Divisé en deux parties, le programme s’ouvrit par des fragmens d’un oratorio d’Haydn, le Retour de Tobie, composition plus élégante de style que profonde par le sentiment. Une cantate de Pergolèse, Orfeo, qui renferme de beaux accens dignes de Gluck, dont ils annoncent le style pathétique, a été médiocrement chantée par un ténor peu connu, M. Lucien, tandis que le madrigal de Gibbons, empreint de la douceur pénétrante des madrigaux