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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/753

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donne aux préfets dans sa dernière circulaire, la forme et le fond, les procédés qu’il recommande à ses agens et le motif qui a déterminé une décision si étrange.

La forme, le procédé se résument dans ce mot malheureux de « saisie administrative. » Les journaux sont soumis à une juridiction et à une pénalité administratives ; mais du moins c’est un décret ayant force de loi qui a donné ce régime à la presse. La saisie administrative de brochures écrites par des exilés est inconnue à la loi, aussi bien à la loi de la presse qu’aux lois de bannissement. Peut-être le ministre a-t-il outre-passé sa propre pensée, peut-être n’a-t-il pas entendu recommander aux préfets l’exercice d’autres pouvoirs que ceux qu’ils tiennent du code d’instruction criminelle. L’article 9 de ce code considère le préfet de police et les préfets comme les auxiliaires de la justice, et les autorise, à ce titre, à saisir les agens ou les instrumens des délits ou des crimes ; mais cette même disposition de la loi suppose dans l’objet saisi la présomption du délit ou du crime, et prescrit aux préfets de déférer la chose ou la personne saisie à la justice. Si c’est bien là le pouvoir légal que le ministre a eu en vue, comment peut-il le concilier avec les termes de ses instructions aux préfets ? Le ministre veut que les écrits politiques ou non des exilés soient saisis administrativement : il néglige donc une condition essentielle de l’exercice légal de l’autorité préfectorale en pareille matière, la présomption de délit ou de crime. Le ministre ordonne à ses agens, pour les cas de saisie qu’il prévoit, d’en référer directement à lui-même ; n’est-ce point omettre l’obligation que la loi impose aux préfets de déférer à la justice les personnes présumées coupables ou les instrumens de délit sur lesquels ils auront mis la main ? Si la circulaire du ministre de l’intérieur ne s’accorde point avec l’article 9 du code d’instruction criminelle, il nous est impossible d’en comprendre la vertu légale. Ce n’est point une réponse de dire que, les exilés étant placés hors du droit commun, une exception nouvelle, ajoutée aux exceptions dont ils souffrent, découle de la logique de leur situation, et ne tire point à conséquence. S’il est vrai que le malheur des temps et la nécessité politique justifient, dans certains cas, des exceptions au droit commun, il est à coup sûr plus vrai encore que ces exceptions ne sauraient demeurer élastiques et vagues. La justice et l’intérêt social exigent au contraire qu’elles soient définies avec une étroite et rigoureuse précision. Tout ce que les lois d’exception n’ont pas spécialement prévu rentre dans le domaine du droit commun. Ce n’est donc pas un ministre, agent du pouvoir exécutif, c’est le pouvoir législatif qui seul peut ajouter des aggravations nouvelles au triste sort des bannis. Si, dans les lois d’exil, on n’a point à votre gré tout prévu, vous ne pouvez pas réparer vos omissions par des circulaires ministérielles : il n’y a qu’un moyen, il faut faire une loi.

Si M. de Persigny est convaincu que les écrits des exilés peuvent faire courir de si grands dangers à l’ordre établi qu’il soit nécessaire d’ajouter