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pour eux le bannissement absolu de la pensée, de l’âme, à la peine qui éloigne le corps du territoire de la patrie ; s’il pense qu’une si cruelle disposition soit compatible avec les mœurs adoucies d’une société qui se fait honneur de marcher à la tête de la civilisation ; s’il croit que le suffrage universel, qui est maintenant notre souverain et notre juge à tous, a les oreilles trop délicates pour être en état de supporter, je ne dis pas même les gémissemens des exilés, mais les hommages résignés, confians et sereins qu’ils voudraient rendre à la gloire, au génie, à la langue de notre mère commune, la France, qui n’a pas toujours pratiqué, mais qui en ses bons momens a toujours aimé la clémence, qu’il en tente donc l’épreuve, qu’il propose sous forme de loi les conclusions de sa circulaire. M. de Persigny, nous avons eu déjà l’occasion de le lui dire, se laisse trop aller à la séduction de la théorie qu’il a imaginée sur l’histoire de la liberté en Angleterre ; il croit peut-être ne point dépasser l’exemple de ces fameux juges hanovriens qu’il nous a montrés si inflexibles. À sa place, nous aimerions mieux nous rappeler les paroles du souverain dont il est le ministre, d’un prince qui a connu, lui aussi, les amertumes de l’exil. « Prends garde, disait-il à l’exilé, à chaque pas que tu fais, à chaque mot que tu prononces, à chaque soupir qui s’échappe de ta poitrine, car il y a des gens payés pour dénaturer tes actions, pour défigurer tes paroles, pour donner un sens à tes soupirs ! Si l’on te calomnie, ne réponds pas ; si l’on t’offense, garde le silence, car les organes de la publicité sont fermés pour toi, ils n’accueillent pas les réclamations des hommes qui sont bannis ; l’exilé doit être calomnié sans répondre, il doit souffrir sans se plaindre ; la justice n’existe pas pour lui. » Peut-être la plainte était-elle exagérée à une époque où la cause impériale était représentée dans la presse libre, où nous pouvions, chez tous les libraires, acheter les Idées napoléoniennes ; elle n’en est pas moins touchante. Est-ce à M. de Persigny d’en méconnaître la mélancolique ironie et d’en faire contre d’autres exilés une vérité littérale ?

Nous ne voulons pas le croire, quand nous songeons surtout au motif et à l’occasion de cette circulaire. Nous ne pouvons point apprécier la brochure de M. le duc d’Aumale : l’imprimeur et l’éditeur qui l’ont publiée ont été sévèrement condamnés, et se sont vu retirer leurs brevets ; mais si nous étions tentés de parler de M. le duc d’Aumale, nous ne pensons pas que nous en pussions être empêchés par la dernière circulaire de M. le ministre de l’intérieur. Nous serions plutôt retenus par ce sentiment de réserve que l’on éprouve à exprimer la bonne opinion que l’on a d’un prince, car, même dans l’infortune, les membres des familles qui ont régné ont encore ce malheur, que l’hommage rendu à leurs qualités puisse passer pour une flatterie. Cependant, grâce à son éducation et à sa carrière, le duc d’Aumale échappe a cette fatalité. Récemment, devant le corps législatif, un orateur éminent, qui n’est point suspect d’enthousiasme monarchique, M. Jules Favre, a pu rappeler les services administratifs de l’ancien gouverneur-général de l’Algérie,