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marche que requéraient les puissances étrangères, c’est là une de ces nécessités que subit le faible et qu’il ne faut pas lui reprocher. C’était assez sans doute, en accédant réellement au désir des cours, de revenir sur une résolution royale et de reconnaître aux états des pouvoirs nouveaux pendant la suspension partielle de la constitution commune.

Le cabinet de Copenhague ne s’est pas contenté de ces efforts pour amener une entente avec l’assemblée holsteinoise dans l’intervalle qui devait séparer l’ultimatum fédéral de la résolution définitive. Antérieurement déjà, par la médiation de l’Angleterre, il avait fait des concessions non-seulement au Holstein, mais au Slesvig lui-même. Un parti qui grossit tous les jours, il est vrai, en Danemark peut bien reprocher un peu légèrement au ministère son éternelle condescendance envers les cabinets étrangers ; cette condescendance n’en conserve pas moins intacte la véritable force du Danemark, celle d’un état souverain et indépendant que l’Europe ne laissera pas mutiler. Puissent seulement les éventualités de toutes parts menaçantes dans les relations de l’Europe orientale et centrale permettre aux amis du Danemark de hâter l’accomplissement d’une solution tout indiquée : l’abolition de la constitution commune et l’union seulement personnelle pour le duché de Holstein ! Puisse le Danemark jusqu’à l’Eyder (et non plus jusqu’à l’Elbe) rompre enfin ses plus dangereuses attaches avec l’Allemagne, condamnées en partie par les traités ! Puisse une situation franche et nette enlever à l’Allemagne quelques illusions très funestes, à la monarchie danoise une cause de dissolution presque certaine, à l’Europe du nord un ferment d’agitation et même de guerre ouverte sans cesse menaçant !

C’est vers une telle solution que tend le gouvernement danois, c’est en ce sens qu’il va prochainement peut-être faire encore de nouvelles propositions à l’Allemagne. Il a répondu par un refus très net à l’ultimatum du 7 février ; il est donc en ce moment sous le coup de l’exécution fédérale en Holstein, qui amènerait infailliblement une ingérence des Allemands en Slesvig, et par conséquent la guerre. Cependant l’Allemagne, après avoir tant menacé, hésite encore ; elle sait bien que l’Europe ne sera pas avec elle, et, considérant qu’une guerre allumée peut en faire éclater d’autres, elle craint d’encourir une si grande responsabilité. En face de ces hésitations, dont il faut savoir gré au plus fort, le plus faible est prêt à condescendre à tous les arrangemens conciliables avec le droit et avec l’honneur. Puisqu’une solution apparaît qui semble ménager les intérêts des deux parties, pourquoi désespérerait-on que l’intervention de la France, de l’Angleterre et de la Russie la fît admettre ? Convaincu comme nous le sommes que l’issue indiquée est, quoi qu’on fasse, inévitable, si l’on veut échapper à de grands malheurs (nous l’avons dit dès le commencement du débat, dès 1852), nous nous sentons fort disposé à croire, en dépit de certaines apparences, que la lassitude des efforts contraires à ce résultat aura de part et d’autre rapproché les esprits vers l’unique point de Rencontre qui leur est depuis si longtemps marqué.


A. GEFFROY.