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Le vice-roi mit beaucoup de convenance dans sa réponse à cette déclaration : « Il est donc vrai, écrivit-il à Murat, que votre majesté a jugé indispensable aux intérêts de sa couronne, non-seulement de s’allier aux ennemis de l’empereur, mais même de marcher contre ses troupes !… Je n’aurais jamais cru un tel événement possible, et j’éprouve le besoin de lui dire que j’en ressens une profonde douleur. Puisse votre majesté ne jamais regretter le parti qu’elle prend aujourd’hui !… Je me borne à dire à votre majesté que je reçois avec reconnaissance les nouvelles assurances d’amitié qu’elle me donne et que je me repose d’ailleurs entièrement sur sa parole royale qu’elle ne fera aucun mouvement qui puisse menacer l’armée de l’empereur… sans m’en avoir préalablement et à temps informé. » Murat s’empressa d’écrire de nouveau au vice-roi pour confirmer cette promesse, pour lui exprimer son désir d’une prompte paix qui lui épargnât la douleur d’en venir aux mains avec ses compatriotes, enfin pour le prier de le rappeler au souvenir de l’empereur et de lui parler de sa douleur. La lettre finissait ainsi : « Je verse des larmes en vous écrivant et je vous embrasse bien tendrement. »

Du moment qu’il n’avait plus été possible de s’abuser sur les projets du roi de Naples, le prince Eugène avait quitté la ligne de l’Adige pour se retirer sur celle du Mincio. Ce qui est remarquable dans cette campagne, qui ne fut de la part du vice-roi qu’une série de retraites, c’est la fermeté et le talent qu’il mit a les couvrir par des retours offensifs, par de glorieux faits d’armes, à leur ôter ainsi toute apparence de déroute, à se donner le droit de les présenter comme de purs mouvemens stratégiques, commandés sans doute par la nécessité, mais exécutés lentement et à loisir. Dans les nombreux engagemens qui eurent lieu, l’avantage fut constamment de son côté. La bataille du Mincio, livrée le 8 février, peut être considérée, comme un de ses principaux titres de gloire, et elle jeta quelque éclat sur cette phase lugubre de notre histoire militaire, où la fortune semblait nous poursuivre avec autant d’acharnement qu’elle en avait mis naguère à accabler nos ennemis.

À tout prendre, cette époque fait le plus grand honneur au prince Eugène. La malveillance a pourtant essayé d’en faire sortir contre lui une accusation bien grave. On a prétendu qu’ayant reçu de l’empereur l’ordre de ramener en France une armée dont le concours aurait pu suffire pour assurer en Champagne la défaite de la grande armée coalisée, il s’était refusé à exécuter cet ordre dans l’espoir de se ménager à lui-même la couronne d’Italie en restant, avec les troupes qu’il commandait, sur le territoire italien ; on en a conclu que, par cette désobéissance fondée sur un motif aussi égoïste, il s’était rendu moralement responsable du succès définitif de la coalition et de la chute du trône impérial. Cette accusation a été victorieusement