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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/812

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l’empereur, ce n’est pas sur ce ton qu’elle eût parlé de lui, même dans les communications les plus intimes.

Le vice-roi était livré à la plus pénible anxiété. Tantôt, pour obéir à ce qui lui paraissait être, en définitive, la volonté de l’empereur, il se préparait à repasser les Alpes ; tantôt, rassuré par la correspondance qu’il entretenait avec Murat, qui semblait hésiter de plus en plus à accomplir sa défection, il inclinait à rester en Italie. Une lettre que l’empereur lui écrivit le 18 février, pour le féliciter sur sa victoire du Mincio et pour lui annoncer, avec d’énormes exagérations, les brillans succès qu’il venait d’obtenir lui-même en Champagne sur les armées de Blücher et de Schwarzenberg, était conçue en termes si vagues, si contradictoires même, que, loin de mettre un terme aux incertitudes du vice-roi, elle était plutôt faite pour les augmenter. On serait presque tenté de croire que Napoléon, en évitant de s’expliquer plus clairement par écrit, voulait faire peser sur lui la responsabilité de la résolution à laquelle il s’arrêterait. Le même jour cependant, il lui envoya par un officier de confiance, M. de Tascher, aide-de-camp du vice-roi, qui avait apporté en France la nouvelle de la bataille du Mincio, des ordres verbaux par lesquels la question était enfin résolue. Napoléon, enivré par les avantages qu’il venait de remporter à Champaubert, à Montmirail, à Vauchamps, à Nangis, faisait dire au vice-roi de garder l’Italie le plus longtemps qu’il pourrait, de s’y défendre, de ne pas s’occuper de l’armée napolitaine, composée de mauvais soldats, et du roi de Naples, qui était un fou, un ingrat, de ne céder le terrain que pied à pied, et enfin, s’il était serré de trop près, de réunir toutes ses forces, de se retirer sous les murs de Milan, d’y livrer bataille, en cas de défaite d’opérer sa retraite sur les Alpes, et de n’abandonner la péninsule qu’à la dernière extrémité. Par de telles instructions, la conduite qu’avait tenue, les idées qu’avait exprimées le prince Eugène se trouvaient complètement justifiées. Aussi l’empereur ajoutait-il qu’il était content de lui.

Dès le lendemain, il lui écrivait pourtant une lettre qui devait le blesser profondément. La vice-reine, comme nous l’avons vu, était sur le point d’accoucher lorsque le prince Eugène s’était vu obligé de se replier sur le Mincio. Le théâtre de la guerre s’était ainsi rapproché de Milan, où elle résidait. Craignant de la voir, dans l’état où elle se trouvait, obligée de quitter précipitamment cette ville, Eugène s’était adressé au commandant en chef de l’armée autrichienne pour obtenir que la princesse pût, en tout état de choses, rester à Milan, si les médecins jugeaient qu’il y eût danger pour elle à se déplacer, tout en conservant la liberté d’aller rejoindre son mari lorsqu’elle serait rétablie. Le maréchal de Bellegarde avait répondu le 3 février que tout se passerait comme le vice-roi le désirait, et qu’il