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et pour toi seule : ce n’est pas encore fini en France, et je plains du fond du cœur ce malheureux pays. » La correspondance du prince Eugène est plus explicite quant à ses rapports avec les souverains et les ministres étrangers. Elle s’étend complaisamment sur l’accueil que lui firent les empereurs, les rois et les princes, l’empereur Alexandre surtout. Ce monarque, naturellement généreux et prodigue de démonstrations, lui témoignait la plus grande bienveillance. « L’empereur, écrivait-il, est venu passer une journée chez ma sœur (à Saint-Leu), et tu ne peux te faire une idée combien il a été bon et aimable pour nous. Je lui ai parlé de nos intérêts, et il m’a assuré avec une grâce parfaite qu’il se chargerait de notre sort, qu’il espérait qu’il serait beau, quoique, a-t-il dit, il ne le serait jamais autant que nous le méritions. Je t’ai déjà mandé que les autres souverains m’avaient parfaitement reçu ; j’ai vu ce matin leurs ministres, ils m’ont tous promis de l’intérêt… »

Eugène ne se dissimulait pourtant pas les difficultés qui s’opposaient à ce qu’il obtînt une pleine satisfaction. « D’après ce que j’ai appris, disait-il, il ne faut pas nous attendre à être trop bien traités. Chacun veut partager le gâteau ; c’est énorme ce que chacun à la prétention d’avoir, et il est bien vrai de dire que les liens de famille les plus sacrés sont comptés pour rien en politique… Je ne sais plus quel coin on prendra pour nous assurer un établissement. » Quelques jours après, il écrivait encore à sa femme : « J’ai vu hier l’empereur Alexandre, et il m’a dit que je n’avais à me mêler de rien, qu’il se chargeait de tout, et qu’il avait l’amour-propre de croire que je serais content de lui. Je ne puis te dire combien il est bon et aimable pour tout ce qui regarde ma famille. ».

Sur ces entrefaites, l’impératrice Joséphine, à qui l’empereur de Russie venait de faire une visite dans laquelle il l’avait comblée des attentions les plus recherchées, mourut presque subitement. Eugène reçut, à cette occasion, de nombreux témoignages de sympathie, et tous les souverains lui donnèrent des marques d’intérêt. L’empereur Alexandre, au moment de partir pour l’Angleterre, alla passer une journée à Saint-Leu avec lui et sa sœur.

Il avait été résolu que le partage des dépouilles de l’empire français ne se ferait qu’à Vienne, où les souverains et les cabinets étaient convenus de se réunir en congrès dans le cours de l’année. Eugène dut se résigner à attendre que ce congrès eût décidé de son sort. Il ne tarda point à quitter Paris pour retourner à Munich. Lorsqu’il alla prendre congé de Louis XVIII et des princes et princesses de sa famille, ils le reçurent avec la même bienveillance qu’à son arrivée, et lui parlèrent de la mort de sa mère en termes dont il fut très touché. Tous ses soins tendaient à entretenir les dispositions favorables de l’empereur de Russie, qui exerçait alors en Europe la principale